Mark Rossini est l’un des plus brillants agents américains de sa génération. Plongé très tôt au cœur de la lutte antiterroriste, son expertise est peu commune dans le domaine du terrorisme islamiste. Son rôle dans l’enquête sur les attentats contre les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Somalie en 1998 lui a valu une promotion rapide et méritée. C’est lui que le directeur du FBI choisit pour superviser les agents spéciaux qui représentent le Bureau au sein d’Alec Station, l’unité spéciale de la CIA chargée d’éliminer ben Laden fin 1999. Un balcon privilégié sur la guerre secrète contre la terreur d’où il assiste, impuissant, aux erreurs de la CIA. Des erreurs qui vont ouvrir une voie royale aux pirates de l’air du 11 septembre.
Après ces attentats, l’heure n’était pas aux interrogations pour Mark Rossini, mais à l’action. Dans les années qui suivirent, happé par la spirale de la lutte antiterroriste, il joue un rôle important dans la machine de guerre lancée par l’administration Bush. Participant aux enquêtes les plus secrètes, il briefe régulièrement les plus hauts dirigeants de la Maison-Blanche comme de la CIA où il rencontre, chaque semaine, son directeur. Considéré comme le père fondateur du Centre national de lutte contre le terrorisme (NCTC) de la Maison-Blanche, il aurait pu se contenter de gravir les échelons sans poser de questions. Seulement voilà, Mark Rossini est un agent atypique. Aussi flamboyant que son mentor, John P. O’Neill, l’ancien responsable de la lutte antiterroriste du FBI décédé dans l’effondrement des tours jumelles, il a du mal à passer sous silence une vérité qui ne doit pas l’être. Il s’interroge sur certains dérapages de la CIA et de la Maison-Blanche. Dès lors, son sort est scellé. Pour avoir sa tête, ses ennemis à Washington profitent d’un faux pas somme toute minime, sa petite amie de l’époque ayant eu accès à des documents confidentiels. Renvoyé du Bureau avec pertes et fracas, il est poursuivi par la justice qui finira par renoncer. Le mal est fait. Marginalisé, Mark Rossini continue à se poser des questions sur ce qu’il a vécu au sein de la CIA, sur les secrets auxquels il n’aurait jamais dû avoir accès et qu’il a pourtant entrevus, sur toutes les choses qu’il n’aurait jamais dû (sa)voir. Il ne passe pas un jour sans qu’il ne revienne sur cette fameuse journée de janvier 2000 où il a découvert l’existence d’une opération secrète de la CIA qui a, involontairement sans doute, favorisé les desseins des pirates de l’air du 11 septembre. Ce jour-là, Douglas J. Miller, l’un des agents du FBI en poste à Alec Station, informe Mark Rossini que deux terroristes d’Al-Qaïda sont sur le point d’entrer aux Etats-Unis munis de visas en bonne et due forme. On apprendra par la suite, et trop tard, que ces hommes, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, viennent de Kuala Lumpur où ils ont participé à la dernière réunion préparatoire des attaques du 11 septembre et qu’ils font partie du commando qui détournera le vol American Airlines 77 pour le précipiter sur le Pentagone.
Dans son texte construit comme un rapport d’enquête du FBI, In Re: 9/11, rendu public dès 2016, Mark Rossini affirme que la CIA l’a empêché d’enquêter sur Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi parce qu’elle comptait se servir d’eux pour infiltrer Al-Qaïda et remonter jusqu’à son chef Oussama ben Laden. Il accuse même l’Agence d’avoir recruté l’un des deux terroristes. Croyant contrôler un agent double, la CIA se serait fait berner par un agent triple faisant semblant de trahir Al-Qaïda pour mieux parvenir à ses fins. Si Mark Rossini a raison, on comprend dès lors pourquoi l’Agence a tout fait pour taire la vérité. Si l’ancien agent du FBI ne peut pas dire tout ce qu’il sait – il lui est, par exemple, interdit de nommer ses anciens collègues de la CIA sous peine d’aller en prison –, il dévoile tout ce qui lui est possible. Ce qui est déjà considérable. En le lisant, on comprend que si conjuration il y a eu, c’est celle d’imbéciles et d’incapables qui ont cherché à masquer leurs errements au risque de faire croire à un vaste complot.
Fabrizio Calvi
Pour comprendre les raisons des attentats du 11 septembre 2001, je suis parti des deux interrogations suivantes:
1) Pourquoi le mémo d’alerte CIR (Central Intelligence Report) rédigé le 5 janvier 2000 par l’agent spécial du FBI Douglas J. Miller (détaché auprès d’Alec Station de la CIA), qui contient des renseignements sur «la réunion des terroristes» ce même mois à Kuala Lumpur en Malaisie, a-t-il été supprimé et n’a jamais été envoyé au FBI?
2) Pourquoi m’a-t-on demandé de garder le silence à ce sujet? Car, dans toute affaire, lorsqu’un «incident» se produit, une enquête est ouverte sur la base de causes probables pour en connaître les raisons. Lesquelles sont intimement liées aux motivations et aux intentions d’un individu ou d’un groupe d’individus désireux de commettre un acte criminel. En l’absence d’aveu, tous les dossiers civils ou pénaux doivent établir les preuves et/ou indices circonstanciés qui, dans leur ensemble, amènent une personne raisonnable à conclure logiquement aux «causes» de l’«incident».