Se voulant rassurant, le président du Gouvernement genevois, Henry Fazy, rappelle à la presse qu’en 1870-71 (date de la dernière guerre, ndlr), la Suisse était autonome en matière d’approvisionnement, et que le prix des denrées n’avait alors pas été augmenté.
«L’excitation qui règne actuellement dans la population est donc absolument injustifiée, le manque de numéraire n’a aucun rapport avec la situation financière, qui est excellente. D’ailleurs il y sera remédié immédiatement par la mise en circulation de billets de 20 et 5 francs.» La bourse de Genève, une des seules qui soient restées ouvertes, est calme et la liquidation de fin du mois s’est opérée normalement, rapporte le Journal de Genève.
Le jour même, en ce 31 juillet, l’armée est en état d’alerte. Le commissaire de police Sessler, ceint de son écharpe et, précédé de tambours et de gendarmes, parcourt la ville et donne lecture sur les places publiques de l’arrêté concernant la mise de piquet de l’armée et la mise sur pied du landsturm. Partout cette lecture est accueillie par des acclamations. Une grande animation règne dans les rues jusque très tard dans la nuit. Le lendemain 1er août, c’est l’annonce de la mobilisation de l’armée suisse qui est placardée. Genève s’enflamme.
Dimanche 2 août, le Journal de Genève sort une édition spéciale à 3 heures du matin: «En France la mobilisation a commencé». Les communications télégraphiques sont coupées avec ce pays voisin. «On sonne le tocsin dans les communes avoisinant notre canton et nous avons assisté à plusieurs départs. L’ordre de mobilisation français a été affiché dans la soirée au Consulat. Une foule énorme stationnait au Molard et un service d’ordre a dû être organisé».
La mobilisation française, venant après celle de l’armée suisse, accroît l’effervescence. L’ambiance est délirante, rapporte la presse: «Dans les cafés on chante la Marseillaise; des jeunes gens traversent la ville en chantant le Roulez tambours! Sous les becs de gaz et les phares des autos on lit les journaux; des passantes utilisent des lampes électriques de poche pour déchiffrer les affiches fédérales de mise sur pied». Affluence énorme à l’Hôtel de ville. Le département militaire est assailli de demandes, le bureau des permis de séjour envahi. De nombreux étrangers français, russes, serbes, etc., viennent retirer leurs papiers. En ville, la circulation est intense dans les grandes artères, devant les établissements financiers, les coopératives, les consulats, notamment celui de France.
Effervescence à la gare de Cornavin, où des trains spéciaux sont organisés pour le transport de troupes. Les quais sont encombrés de voyageurs partant ou rentrant: «Les uns sont en uniforme, d’autres en civil, le fusil à l’épaule; tous manifestent le plus grand enthousiasme. Ils entonnent des refrains patriotiques. Dans un coin du buffet un bébé que berce une nourrice se réveille épouvanté; on calme le petit qui ouvre de grands yeux». On remarque une section de landsturms qui assurent le service de garde.
La foule est énorme pour le départ du train de nuit. Beaucoup de soldats de la Suisse allemande, que leurs familles avaient accompagnés, sont partis. On remarque aussi beaucoup d’Allemands. Au milieu de l’émotion générale, la foule entonne des chants patriotiques. Le train se forme. C’est alors la cohue, la bousculade, l’assaut des places. Le personnel ajoute des voitures. On s’y empile. Le chargement des bagages, innombrables, se fait lentement. L’express, qui attend en vain la correspondance de France subira de ce fait un grand retard. Puis quand il s’ébranle à deux heures moins un quart, c’est un cri vibrant retenti de milliers de poitrines: Vive la Suisse! Puis c’est l’Hymne national qui s’élève puissant et auquel répond les acclamations de ceux qui restent: des femmes, des enfants pleurent en agitant leurs mouchoirs.
Les patrouilles de police sont doublées. La précaution n’est pas inutile, la sûreté arrête un grand nombre d’individus sans emploi et sans papiers; ils seront reconduits à la frontière dans le plus bref délai. Durant la nuit entière les réservistes français ont fait leurs préparatifs de départ. Plusieurs sont partis dimanche à la première heure.
Dès cinq heures, la gare de Cornavin, où deux sections de landsturm occupent l’une la grande et l’autre la petite vitesse, reprend son animation. Le train de Suisse part bondé; le train de France de 6 h 50 est comble. «Dans la foule nous remarquons les premiers réservistes français qui rejoignent leur corps. Les uns ont arboré la cocarde tricolore. Tous les voyageurs ne peuvent prendre place dans l’express. Beaucoup sont obligés d’attendre le train prévu à l’horaire à 10 h. Des scènes émotionnantes se produisent, qui retardent l’heure du départ. Puis le train s’ébranle aux cris de Vive la Suisse! Vive la France!»