La route de Kaboul
– La passe de Kodjak (Khyber)? ça n’est pas pour vous, ça! C’est très facile. Impraticable avec votre voiture. La piste est excellente. La piste est défoncée. Prenez le détournement, à droite. Ne passez à aucun prix par la droite!
Voilà quelques-unes des opinions que nous avions pu recueillir à Quetta sur le col qui relie la ville à la frontière afghane. Toujours pareil ici: les Européens qui ont fait une route en exagèrent à plaisir les difficultés; quant aux Baloutches, ils ne fourniront jamais de ces renseignements qui dépriment; contrarier n’est pas dans leur nature. Le mieux c’est encore d’y aller voir soi-même en s’attendant au pire. La passe de Kodjak est soigneusement entretenue par l’armée et grimpe dur à travers des pierriers fumants. Au bas de la seconde rampe le moteur s’étouffa. Il n’y a vraiment que les voyages à pied! Cette voiture, nous l’aurions bien donnée… mais à qui? pas une âme à trente kilomètres à la ronde. On nettoya, sans trop y croire, le distributeur et les bougies, on régla l’avance. Le soleil était au zénith. Nous n’avions plus de cigarettes, en outre, la fièvre me rendait si maladroit que j’engageai la main gauche dans le ventilateur qui m’entailla quatre doigts jusqu’à l’os et m’envoya dinguer sur la route, le souffle coupé par la douleur. Thierry m’enveloppa la main dans des serviettes pour arrêter l’hémorragie, et c’est la seule occasion du voyage où la morphine que nous emportions trouva à s’employer. Elle fit merveille: pousser, tirer, poser des cales avec cette main hors d’usage m’apparut comme une plaisanterie. A cinq heures nous étions en haut. Un vent frais nous balayait la figure. Du sommet, on aperçoit la tache lépreuse de la ville de Ghaman et le plateau afghan qui s’étend vers le nord à perte de vue dans une brume de lumière.