Au pied de la porte d’entrée en bois massif, des paires de chaussures sont empilées en vrac à même le sol devant les étagères prévues à cet effet. Dans la lumière chaude d’une salle rectangulaire où flottent des effluves d’encens, un groupe de femmes presse le pas.
A vue d’œil, elles sont une quarantaine, toutes générations confondues. Sans se saluer, elles s’assoient en rangs ordonnés. Au-dessus d’elles, trois cadres au verre bombé comme une coupole. Dans l’un d’entre eux, les premiers mots de la sourate Fatiha calligraphiés en vert foncé sur fond doré.
Elles portent toutes une djellaba – un manteau souple que les musulmanes enfilent quand elles sortent de chez elles – blanche, assortie à un voile posé délicatement sur leurs cheveux. «C’est la couleur de la pureté», glisse l’une d’elles, couverte d’un foulard en dentelle. Dans ses bras, tout au bonheur de se faire dorloter, son petit est plongé dans un sommeil profond.
La ville fait la sieste. Mais, comme tous les mardis après-midi, les disciples de la tariqâ (littéralement «voie») al Alawiya ne chôment pas. Elles empruntent les virages qui grimpent jusqu’à la zaouïa, le siège de cette confrérie soufie, pour participer à une réunion spirituelle.
Depuis la fondation de l’ordre en 1909, le rite est immuable. Il s’ouvre par la répétition de la profession de foi (Lâ ilaha illâ Allah, «il n’y a de dieu que Dieu») et d’invocations à Dieu et son Messager, le dhikr, dans la terminologie soufie (Satarfallah, «Qu’Allah me pardonne»; Subhan Allah, «Gloire à Dieu»; Allahu akbar, «Dieu est le plus grand»).
Les minutes s’égrènent, les voix s’entremêlent dans une synchronie mécanique. Au bout d’une heure, la voix aigüe d’une femme au visage barré par des lunettes rectangulaires transperce l’assemblée. Elle enjoint ses congénères à débattre d'un passage du fiqh, un corpus de pratiques et de règles qui régissent la société islamique. Ce jour-là, la conversation porte sur le cœur battant de la religion musulmane: les cinq piliers de l’islam. «Sans ces piliers, l’islam n’est plus l’islam. Comme une maison, l’islam a besoin de fondations», compare-t-elle.
Après plusieurs minutes de discussion, un silence enveloppe la pièce surmontée d’une mezzanine et drapée de tapis orientaux. Une jeune femme frêle fait son apparition un plateau à la main, et distribue dans le calme des verres de thé aux disciples adossées contre les parois immaculées.