Les Français n’ont jamais entendu parler de lui. Les Allemands l’ont oublié. A New York, le long de l’East River, un parc porte pourtant son nom. Et, de l’autre côté de Manhattan, non loin de l’université Colombia, une statue a été érigée en son honneur. Lorsqu’il mourut en 1906, Mark Twain, qui avait été son ami, écrivit son éloge funèbre dans le Harper’s Weekly. Lui-même reconnut un jour dans une lettre: «On dit de moi que j’ai fait Lincoln président.» Avant d’ajouter, avec une feinte modestie: «Ce n’est certes pas vrai, mais qu’on le dise prouve assez que j’y ai un peu contribué.» Consécration suprême, il est devenu, à titre posthume, un héros d’Hollywood: dans le western de John Ford, Les Cheyennes, il est interprété par Edward G. Robinson. Cet homme s’appelle Carl Schurz. Ce fut le premier Allemand à entrer au Sénat américain, et il finit secrétaire à l’Intérieur. Mais avant cela, il avait été révolutionnaire en Europe, exilé, journaliste, ambassadeur des Etats-Unis en Espagne, général de l’Union contre les Confédérés lors de la guerre de Sécession…
Outre Lincoln, dont il fut l’un des proches conseillers, il fraya au cours de son existence tumultueuse avec Marx (qu’il trouvait d’une «insupportable arrogance»), Bismarck, ou encore Richard Wagner. Schurz est l’un de ces inconnus qui ont fait l’histoire.