Sept.info | A la recherche de l’Arche perdue (1/3)
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Les prêtres sont vêtus d'habits rituels colorés et brodés d'or. Derrière eux se tiennent de jeunes novices qui les protègent avec des auvents faits de tissus multicolores.© Emmanuel Brisson

A la recherche de l’Arche perdue (1/3)

Pour les juifs, les musulmans et la majorité des chrétiens, la célèbre relique de l'Arche d'alliance est disparue. Pas pour les chrétiens d'Ethiopie.

Ils marchent pour Dieu. Et ils sont des milliers sur les routes en ce mois de janvier, à la veille de Timkat, le jour de l’Epiphanie en Ethiopie. Ils sont chrétiens coptes, et tous marchent vers Lalibela, que l’on dit ici la Jérusalem noire. Certains sont pieds nus, mais leur foi semble les porter. 

A Lalibela, ils iront se recueillir dans les douze temples creusés à même la roche de cette cité que l’on voulut faire dans le passé à l’image de la ville trois fois sainte d’Israël. A 640 kilomètres de routes et de pistes d’Addis-Abeba, la capitale, nous sommes, à 2’700 mètres d’altitude, plus près des cieux qu’ailleurs. L’Ethiopie, c’est le pays des «visages brûlés» – ethiops, en grec. Le pays des mythes de l’Ancien Testament. Un lieu dont nous aurions tous quelque chose en nous et que les Egyptiens appelaient déjà la Terre des Dieux. L’Eglise éthiopienne s’affirme aujourd’hui comme la plus orthodoxe, la plus proche des rites originels, ceux des premiers chrétiens. Car elle doit d’avoir conservé ses usages liturgiques les plus anciens, très imprégnés de l’Ancien Testament, au grand isolement dans lequel elle a développé sa spiritualité.

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Des prêtres lors d'une halte de la procession.  © Emmanuel Brisson

Les rues sont déjà pleines de tous ceux que Timkat attire. Ethiopiens bien sûr, mais aussi de nombreux étrangers, touristes du monde entier, venus s’émerveiller devant la fastueuse démonstration organisée pour prier la plus sainte des reliques. Une procession au cours de laquelle les prêtres orthodoxes exhibent au monde la principale raison de leur fierté religieuse, l’Arche d’Alliance, qui serait selon leur tradition conservée sur les terres d’Ethiopie, depuis sa disparition du premier temple de Jérusalem où elle résidait au temps du roi Salomon. Lalibela compte 350 prêtres pour 10’000 habitants. Des prélats qui vivent en partie de l’aumône des pèlerins, tandis que le haut clergé bénéficie des taxes prélevées aux touristes. 

Le passage par le bureau d’informations est obligatoire pour y retirer le sésame qui me permettra de déambuler librement dans tous les monuments de la ville. Se loger le temps des festivités n’est pas non plus chose aisée: les lits sont réservés parfois une année à l’avance. Celui chez qui j’ai pu enfin trouver une place, après une matinée de tentatives infructueuses, a pourtant un avis sévère sur le mercantilisme du clergé: «Des marchands du Temple, semble-t-il se désoler avant d’ajouter plus gravement: On sait que le grand Pope prend de l’argent au passage…» Mais cette richesse n’est pas celle de la plupart des religieux qui connaissent en fait une précarité similaire à celle de tous les Ethiopiens. Ils se font alors agriculteurs, une grande partie de leur temps. Comme tout le monde en fait à Lalibela. Seule une poignée d’entre eux se consacrent entièrement au patrimoine religieux de la ville.

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L’une des célèbres églises troglodytes.  © Emmanuel Brisson

«Tout le monde sait qui profite de cet argent, me confirme un guide officiel venu retirer les passes de son groupe de touristes. Mais la conséquence la plus grave des taxes importantes imposées aux étrangers, explique-t-il, c’est l’attitude de la plupart des visiteurs. Ils ne comprennent pas la réalité religieuse de Timkat. On essaye de les amener au mysticisme ambiant. On essaye, mais ils n’écoutent pas.» Lalibela n’est pourtant pas une ville musée, et la foi qui l’a engendrée encore des plus vivaces dans le cœur des Ethiopiens. C’est un manuscrit éthiopien du 15siècle, Les Archives de Lalibela, qui raconte l’histoire de la ville. Le roi qui se trouvait alors à la tête de l’Empire s’appelait Lalibela, «celui que les abeilles respectent» en amharique, la principale langue du pays. Enfant, un essaim avait recouvert son corps sans le piquer. Adulte, il fut empoisonné par son frère et tomba en catalepsie. On raconte qu’un ange emporta alors son âme au ciel, où il lui montra de merveilleux édifices. 

Puis Dieu s’adressa à lui et lui ordonna d’en construire les répliques sur la Terre. Alors les hommes et les anges travaillèrent ensemble pour édifier la Jérusalem d’Afrique. Légendes et traditions populaires ont bien posé leurs marques sur les origines de la ville, mais la réalité est plus prosaïque. Les bâtisseurs de ces églises troglodytes que l’on date des 12e et 13e siècles restent d’anonymes chrétiens coptes qui avaient fui les persécutions religieuses. Je pénètre dans l’un de ces édifices de roche. Là, des prêtres à la tête ceinte de tissus blancs, le corps drapé d’étoffes d’un violet éclatant, s’affairent à quelques méditations, absorbés par les pages de vieux manuscrits écrits en Guèze, la langue liturgique de l’église éthiopienne.

On estime aujourd’hui qu’il a fallu plus de 40’000 ouvriers pour construire les onze églises désormais inscrites au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. On commençait par marquer la roche, puis on creusait des tranchées pour délimiter un bloc central. On taillait ensuite un tunnel jusqu’en son centre et on façonnait le lieu depuis l’intérieur.

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La procession.  © Emmanuel Brisson

Vais-je donc réellement voir un mythe biblique? Difficile d’y croire. «Celle que vous allez voir ici est en fait une réplique, m’explique un prêtre, coutumier des questions des touristes. Tous les temples en ont au moins une. On les appelle des tabots. C’est nécessaire pour être un endroit consacré. La seule vraie Arche, c’est le Tabot Zion. Il est à Axoum. Mais vous ne la verrez jamais, et c’est heureux pour vous!» Mon interlocuteur fait là référence aux pouvoirs grandioses qui sont associés à l’Arche. Ainsi, on ne pourrait la toucher sous peine d’être foudroyé, et on ne peut la voir sans en perdre aussitôt la vue. En Ethiopie, seul un prêtre peut en être le gardien et entrer dans le saint des saints dont il ne ressortira que le jour de sa mort.

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Des prêtres portant des répliques de l’Arche.   © Emmanuel Brisson

Elle connaîtra diverses pérégrinations, et plusieurs lieux de résidence, avant d’être enfin conduite à Jérusalem par le roi David et placée plus tard dans le premier temple par le roi Salomon. Pour les juifs, les musulmans et les chrétiens, la célèbre relique est portée disparue. Mais pour les Ethiopiens, elle n’a pas disparue. Et ici, on l’affirme bien haut: l’Arche se trouve dans la cité d’Axoum, à l’abri, dans la cathédrale Sainte-Marie-de-Sion. Le lendemain, à peine ai-je mis les pieds hors de mon «hôtel particulier» que je suis pris dans une marée humaine. Difficile de dire en quel temps nous sommes, au milieu de ces prêtres qui psalmodient des prières en suivant le rythme marqué par les sistres. Des files de percussionnistes progressent en une lente reptation au cœur de la foule, partageant leurs prières aux airs joyeux avec tous les participants. 

Des groupes de jeunes hommes se resserrent parfois, îlots arrêtés sur les flots, pour opérer au son du chant lancé par l’un d’eux quelques pas de danses, comme une ronde, qui les plonge dans un état de transe. Leurs yeux sont brillants, leurs sourires semblent éternels. Les nombreux touristes se sont mêlés à la foule, armés d’un appareil photo. Chaleureusement accueillis dans la procession par les fidèles éthiopiens, ils conservent le sourire amène du voyageur, mais ne semblent pas pris, pour leur part, par la piété du moment. Plus l’heure avance, plus on sent à la ferveur de la foule, toujours plus palpable, que l’événement crucial de la journée approche. Et bientôt, de grands cris de joie s’élèvent. Vêtus d’habits rituels colorés et brodés d’or, les prêtres viennent d’apparaître, sortant de l’ombre de l’une des églises, une grande croix dans la main droite et une crosse dans la gauche. Derrière eux, de jeunes novices les protègent avec des auvents faits de tissus multicolores.

Un prêtre, surtout, amène la foule à l’extase. Il porte au-dessus de sa tête un objet rectangulaire enveloppé dans un brocart bordeaux. C’est le principal tabot de Lalibela, une réplique de l’Arche véritable d’Axoum. J’essaye de me faufiler pour m’approcher au plus près du tabot, et en observer les aspects, mais il n’y a pas autre chose à voir que cette forme géométrique drapée. Toutes les autres répliques de l’Arche qui apparaissent à leurs tours sont également couvertes. Les pèlerins dansent toujours et chantent de plus belle au son des tambours, et cela ne cessera pas avant le crépuscule, quand l’Arche aura retrouvé son sanctuaire.

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Des prêtres lors de la procession.  © Emmanuel Brisson

Le jour suivant, la Divine Liturgie va être célébrée. Devant la foule amassée, les prêtres bénissent les eaux d’un bassin, et les pèlerins sont ensuite invités à renouveler leurs vœux de baptême par une immersion complète. Mais les festivités religieuses d’Ethiopie ont bien désormais cette autre réalité. Le business touristique a pris en otage la foule qui reste parquée en arrière, derrière le mur de caméras et d’appareils photos, surveillée par de nombreux policiers qui ont clairement reçu pour consignes de favoriser les meilleures places à ceux qui ont payé pour cela. C’est donc Axoum qu’il faut rejoindre, à l’extrême nord du pays, pour tenter de voir ce qui serait la véritable Arche d’Alliance. Cette croyance de l’Eglise éthiopienne, et les origines qu’elle lui donne, ne trouvent écho nulle part ailleurs, mais l’épopée qui mènera à cet héritage biblique est un récit qui trouve ses fondements dans les temps les plus reculés du judaïsme.

Pour en savoir plus sur l’histoire de l’Arche, quelques informations peuvent être trouvées dans les textes sacrés des religions du Livre. En ne prenant que les textes bibliques comme référence, la relique, après avoir été conservée de nombreuses années dans le temple de Salomon, a simplement disparu. Dans la Bible et par déduction des dates, on apprend qu’elle est à Jérusalem vers 955 av. J.-C. (Roi 1:27), et c’est la dernière information qui nous est donnée. Même lors de la destruction du temple en 587 av. J.-C. par Nabuchodonosor II, elle n’apparaîtra pas dans le pillage du temple (Roi 7:49-50).

A partir de ce moment, les informations relatives au devenir de l’Arche ne sont plus que des échos lointains. Selon les sources, on apprend que le prophète Jérémie aurait assisté ou participé à son camouflage lors de la destruction du premier Temple. Plus tard, on saura par le témoignage du général romain Pompée qu’elle n’était pas dans le second temple. La relique a donc bien disparu entre ces deux résidences. On sait aussi que les Templiers ont fouillé dans les ruines du Temple. Ont-ils trouvé quelque chose? Ou bien, comme l’affirment alors les chrétiens d’Ethiopie, l’Arche a-t-elle atteint le royaume d’Axoum?

Cet article est initialement paru sur Ulyces.co.