Dans le petit hameau d'Agua de Castilla coincé à 3'500 mètres d'altitude, les rues poussiéreuses sont désertes à l’heure du déjeuner. La chaleur y est écrasante. Pourtant, Rito Benicio, un homme rondelet de 61 ans, affiche un large sourire sur son visage hâlé aux pommettes saillantes: «Cela fait très longtemps qu’il n’a pas plu autant, la saison a été très bonne, grâce à Dieu!» Le gargouillement continu de l’eau qui coule à proximité dans l’étroit canal longeant les rangées de patates, de petits pois et de courgettes de son potager témoigne de la générosité du ciel en cet hiver 2017. Un rectangle de verdure, une oasis, au milieu des steppes arides à perte de vue de l'Altiplano, l’une des régions les plus sèches d'Argentine où il tombe généralement moins de 200 mm d’eau par an. «Plus haut dans la montagne, le niveau de la rivière a beaucoup baissé ces dernières années, poursuit ce modeste mineur retraité, père de huit enfants dont la plupart sont partis travailler en ville ou dans les mines. On ne sème pas beaucoup, car on ne sait jamais s'il pleuvra et en quelle quantité. On plante donc juste ce qu’il faut pour qu’il y ait de l’eau pour tout le monde.»
A deux heures de piste de la ville la plus proche, Agua de Castilla est l’une des rares localités du Nord-ouest argentin où l’agriculture et l’élevage de lamas et de chèvres ont résisté au temps. La vingtaine de familles de l’ethnie Kolla dont les troupeaux paissent autour de la Laguna de Guayatayoc en contrebas – un plan d'eau salée de 240 km2 de superficie à la saison des pluies – dépendent essentiellement de la rivière Chorro qui descend de la cordillère des Andes. Dès lors, quand les gouttes se font rares, les autochtones montent tour à tour ouvrir les vannes d'une retenue d’eau, à une heure de marche dans la montagne qui surplombe la lagune, et arrosent leur village, chaque matin, pendant deux heures. Un bien vital que menace la fièvre du lithium qui a gagné ces hauteurs andines.