Sept.info | Long John Silver et Florence (3/3)

Long John Silver et Florence (3/3)

Que peuvent bien faire ensemble un médecin, un ingénieur en chimie, un polymécanicien, une infirmière, deux concierges, un étudiant en Lettres? Gérer une infirmerie militaire, c’est évident. Etre sanitaire dans l’armée suisse, ça s’improvise. Entre patients légers et acteurs lourds, la vie confinée d’un établissement dédié aux soins dans un environnement pensé pour la guerre.

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© Pierrick Guigon

La vie à l’infirmerie de Payerne offre des avantages incontestables, au rang desquels figure une autonomie toute particulière. Pas de nerveux sergents majors-chefs pour vous secouer le matin au réveil, pas d’appel en chambre ni à l’extérieur, pas de contrôle du matériel ou du dortoir, absence de tout officier autre que le médecin de troupe qui se moque éperdument de son propre grade et entretient avec les soldats un rapport de franche cordialité. L’excès de liberté relatif à l’absence d’un véritable chef militaire n’est pas étranger à l’apparition d’un personnage singulier dans notre chambre durant la deuxième semaine du cours: le Général Balls, commandant charismatique inventé de toutes pièces par Nicolas au moment où l’ennui atteignait son paroxysme.

De la table commune, un ballon de notre conception surmonté d’une «Mutz» (casquette réglementaire) s’assurera désormais que la troupe ne sombre pas dans le laxisme. Il était temps: la diane se voyait repoussée chaque jour de plusieurs secondes, des canettes de bière avaient été surprises à découvert dans la poubelle et les mauvais jours quelques mollets téméraires s’étaient même affranchis des élastiques de jambes. Dans ces conditions tout le monde se montre satisfait de la venue du Général. Chacun lui adresse en entrant dans la pièce le salut solennel qu’impose son rang, sous peine de se voir infliger un tour de l’infirmerie à vélo. Au soir de son arrivée triomphale, une demie-bière lui est dédiée:
- Au Général Balls, fait l’un en prenant un air solennel.


- A Balls! répondent les autres décontractés par la fantaisie.

Le choix de ce grade qui en tant de paix n’est pas attribué en Suisse force l’absurdité du scénario. Dans un pays qui n’a pris part à aucun conflit depuis deux siècles, parler d’une intervention armée même défensive relève pour beaucoup du trait d’esprit. Pour se convaincre du bien-fondé de notre activité, on préférera insister sur d’autres rôles dévolus à l’institution qui nous emploie, telle que l’aide en cas de catastrophe ou les engagements en faveur du maintien de la paix. Trois cents militaires suisses sont par exemple mobilisés au Kosovo, en Corée et dans seize autres Etats. Si malgré tout la frustration l’emporte, misez sur le second degré. De même un certain culot dans le jeu avec les limites vous fera mieux digérer l’impression désagréable de galvauder votre temps; ce sont les bêtises qui feront les anecdotes de demain, comme cette partie de bowling organisée sur le parquet du couloir dont la longueur appelait à la créativité.

Aucune figure d’autorité militaire dans le bâtiment, c’est un fait. Mais les «San» (les sanitaires en langage d’initié) ne sont pas pour autant en roue libre: une infirmière civile s’en occupe, à la manière d’une véritable maman. La tutelle de Florence Baier n’a rien de contraignant: elle s’assure seulement que l’infirmerie fonctionne à tous les échelons. En particulier le nôtre puisqu’il s’agit à n’en pas douter du maillon faible de la structure: aucun de nous n’a de formation médicale, personne n’est ici de son propre gré et le turnover dans nos rangs ne permet pas de s’aguerrir.

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