Sept.info | Dans l'ascenseur du Brésil

Dans l'ascenseur du Brésil

Le photographe helvético-brésilien Dom Smaz a voyagé à plus de dix reprises dans le pays des Jeux Olympiques d'été 2016. L'un de ses travaux porte sur les métiers de services, dont les garçons d'ascenseur.

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Lucia Lueianar Alla, Ascensoriste, Centro Cultural CorrÍios.© Dom Smaz / Rezo.ch

Le Brésil, Dom Smaz le connaît bien. Son premier voyage dans le pays hôte des Jeux Olympiques, cet Helvético-Brésilien l’a effectué à l’âge de deux ans et demi avec ses parents. Aujourd’hui photographe à l’agence Rezo, à Genève, il aime travailler autour de son pays d’origine. En 2010, il a amorcé un travail de longue haleine, cherchant à s’attacher aux métiers de services, facette essentielle du Brésil, qu’il s’agisse de portiers, de garçons d’ascenseur, de vendeurs de tickets de bus.

Comment le Brésil est-il devenu un objet d’intérêt pour vous?
Ma mère étant brésilienne, j’y suis venu plus d’une dizaine de fois, depuis tout petit. En 2006, c’était la première fois que je passais trois mois à Rio, que je posais un véritable regard sur les Cariocas, et plus précisément sur les petits métiers. Cette expérience s’est révélée extrêmement formatrice pour ma carrière professionnelle, car c’était la première fois que je me confrontais aux gens, photographiquement parlant. Au début, je voulais seulement faire connaître un peu le pays. Et puis, j’ai souhaité lui consacrer davantage de temps et de profondeur.

Vous y êtes de nouveau aujourd’hui. Qu’y faites-vous?
J’y effectue un travail sur l’usage de l’internet dans les favelas. Je ne suis pas ici pour chercher du flic en cette période de Coupe du monde qui nourrit les tensions sociales.

Celles-ci ont-elles évolué ces dernières années?
En 2010, pour parler franchement, la population avait déjà de bonnes raisons de mettre le feu. Je ne comprenais pas pourquoi elle s’abstenait. Mais le pays sortait d’une dictature et n’avait pas la culture de la manifestation. Puis les révoltes arabes sont nées. Je me disais que cela pouvait donner des idées au Brésil. Et c’est en 2013 que tout a explosé. J’étais à la fois très content et triste. Très content face à cette réaction. Et triste parce que je craignais que tout cela ne finisse en une nouvelle dictature.

Qu’en est-il aujourd’hui?
C’est le chaos, en tout cas à Sao Paulo (la plus grande ville du Brésil, ndlr). Entre les transports publics, les embouteillages, les grèves dans le métro, c’est une catastrophe. C’est invivable. Mais avec la Coupe du monde, les gens s’en remettent au football. Beaucoup l’ont dit, et ça paraît stupide, mais les bonnes performances du Brésil et ses victoires ont une influence. Elles peuvent contenir la colère et l’insatisfaction des gens. Mon assistant est, par exemple, totalement opposé à l’organisation de cet événement. Il souhaite que le Brésil perde. Paradoxalement, il ne manque aucun match.

Revenons sur l’oeuvre que vous présentez dans nos colonnes. Comment vous est venue cette idée de vous intéresser aux métiers de gens qui attendent, dont les garçons d’ascenseur?
J’ai toujours travaillé sur l’attente. Ce n’est donc pas spécifique à cette série. Il faut l’admettre, c’en est presque curieux: la plupart de mes photos ne capturent pas les moments décisifs. En 2009, aux Etats-Unis, la même démarche m’avait animé lorsque j’avais photographié ce qu’on appelle les «wait workers». Lors des Journées photographiques de Bienne en 2011, puis au festival du film Visages à Martigny en 2013, j’ai eu l’occasion de montrer ces travailleurs sans papiers qui, à San Diego, chaque matin dès l’aube, guettent les voitures qui défilent aux sorties d’autoroute ou aux stations-services. Ils espèrent un job de quelques heures dans la construction, la peinture, la maçonnerie, tout ça pour un salaire de 5 à 10 dollars de l’heure. J’ai remarqué qu’il y avait aussi énormément de gens qui attendaient au Brésil. C’est à mes yeux le pays du temps suspendu et de la surveillance, par excellence: je regardais tous ces portiers, derrière leurs grilles comme s’il s’agissait de barreaux, enfermés dans leurs prisons extérieures, à observer les mouvements de la rue. Et j’ai eu envie d’en faire quelque chose.

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