Le voyage vers l’inconnu dura trois jours. Dans le train, les conditions furent difficiles, mais moins dures qu’entre Theresienstadt et Birkenau. Nous étions moins nombreuses dans le wagon, environ une soixantaine. Nous avions notre pain, notre saucisse à manger et un seau d’eau que nos gardes remplissaient de temps en temps. A mesure que le train avançait, nous sentîmes que l’Allemagne était à bout de forces et que la guerre s’en rapprochait. Notre convoi s’arrêtait régulièrement pour laisser passer des transports de chars, de canons et de militaires. Mais nous voyions aussi les ponts endommagés, les villes et les villages détruits.
Nous sommes arrivées à Hambourg le 17 juillet. Et c’est au port franc fluvial, au bord de l’Elbe, que nous sommes descendues des wagons à bestiaux sans cris de gardes SS, ni aboiements de chiens, ni coups. A la place: des soldats allemands qui nous prièrent de sortir. Nous avions changé de planète. Malgré tout, l’endroit était sinistre, dévasté par les bombardements anglo-américains. Depuis 1943, la deuxième ville du Reich était particulièrement visée par les raids alliés. Hambourg, qui comptait un million et demi d’habitants, subit une tempête de feu. Bombes incendiaires et explosives tombaient jour et nuit. Et leur souffle provoquait une véritable tornade d’une vitesse de 240 km/h et d’une température de 800 degrés. Un Hiroshima allemand. Bilan: 40'000 morts en juillet et août 1943, 120'000 blessés et 350'000 habitations réduites en cendre.
Les raids se poursuivirent jusqu’au 29 avril 1945, date de la dernière attaque. Et à chaque fois, les dégâts étaient colossaux, les Allemands ne pouvant défendre la ville face à l’armada de B-17 ou de Lancaster. Ils n’avaient plus la maîtrise des airs depuis belle lurette et seule la DCA permit d’abattre 440 bombardiers sur les dizaines de milliers qui survolèrent la ville. C’est là, dans ce lieu de bataille macabre, que les 500 déportées tchèques de Birkenau débarquèrent en compagnie de 500 Hongroises. Nous fûmes rejointes en août par 500 Polonaises du ghetto de Lodz qui avaient transité également par Auschwitz.
Nos missions: participer à la remise en état des usines, des raffineries de pétrole, creuser des lignes de défense, reconstruire des maisons pour les réfugiés, dégager les ruines ou encore travailler dans des usines d’armement. Nous étions devenues des bagnards au service de l’effort de guerre allemand. Comme maman et Lala, je fus affectée au Grabungkommando, le commando de nettoyage des décombres des bombardements. L'un des travaux forcés les plus pénibles. Un labeur d’homme douze heures par jour, sous la pluie, dans le froid, avec une pause à midi afin de manger une soupe légère. Il était évident que c’était trop astreignant pour l’adolescente de 15-16 ans que j’étais.