Sept.info | Ayacucho, une blessure péruvienne

Ayacucho, une blessure péruvienne

Berceau de la défunte guérilla du Sentier lumineux, épicentre de la guerre qui ensanglanta le pays durant les années 1980 et 1990, Ayacucho, «le coin des morts» en quechua, reste le symbole d’un Pérou rebelle hanté par son passé.

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Dans le Musée de la mémoire d'Ayacucho, des centaines de visages anonymes recouvrent les murs, sans autre information que celle du nombre total de disparus recensés durant le conflit: 20’511 personnes.© Loïc Ramirez

Ayacucho, quasiment plus personne ne l’appelle comme ça. Ses habitants lui préfèrent son ancien nom, celui donné en 1539 par Francisco Pizarro: Huamanga. En réalité, San Juan de la Frontera de Huamanga (Saint Jean de la frontière de Huamanga). «Frontière», car la cité délimitait la zone sous contrôle espagnol faisant face aux terres où s’étaient réfugiées les dernières forces incas encore invaincues au XVIe siècle. Cinq siècles plus tard, l’agglomération du sud du Pérou compte plus de 100’000 âmes et se rêve en destination touristique. Célèbre pour son carnaval, sa musique traditionnelle et ses églises, elle peut en effet se targuer d’un centre historique à l’architecture coloniale intacte, autour duquel se sont entassées de modestes habitations d’abord, de plus misérables par la suite. Située sur le flanc méridional de la cordillère des Andes à plus de 2’700 mètres d’altitude, Ayacucho est relativement isolée des grandes villes urbaines qui envahissent la côte occidentale du pays. Neuf heures de bus la séparent de la capitale Lima. Dans les années 70, d’aucuns auraient dit un siècle.

«Tout ce que vous voyez, ici, c’est mon père et les gens de la communauté qui l’ont bâti, avant il n’y avait rien», m’explique en ce mois de mars 2020 Judith Ortega Quispe en désignant le petit marché couvert qui trône au milieu du carrefour. C’est dans le quartier de Capillapata, à vingt minutes à pied du centre-ville, que la jeune femme à la longue chevelure brune et aux traits indigènes m’a donné rendez-vous. Derrière les échoppes, sur un petit terrain de football - «lui aussi construit par les habitants» -, Judith me détaille de sa voix douce, presque chuchotante l’étendue du travail réalisé: «Les gens se sont organisés autour du Front de défense du peuple d’Ayacucho (Frente de Defensa del Pueblo de Ayacucho) et ont pallié le manque d’investissement de l’Etat, chacun apportant son matériel et son savoir-faire.» L’école, le marché, les routes goudronnées, une série de structures qu’elle énumère avec fierté. Ce mode de fonctionnement s’inspire de la minka, littéralement la communion, un modèle de travail collectif et volontaire de l’époque précolombienne. Créé le 13 avril 1966, le Front de défense d’Ayacucho rassemblait alors toutes les sensibilités politiques de la gauche radicale procommuniste, une plateforme qui est devenue un acteur politique majeur dans l’histoire récente de la ville, fer de lance de plusieurs mobilisations citoyennes. «Mon père a milité pendant de longues années au sein de cette organisation et en a même été l’un des dirigeants, poursuit la quarantenaire, le visage rayonnant à l’évocation de la figure paternelle. Je me souviens que petite, je l’accompagnais partout, dans ses réunions et à ses rendez-vous, jusqu’à très tard.»

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