Alors que nous approchons de la province de Hakkari, à l’extrême sud-est de la Turquie où s’étend la frontière avec l’Irak et l’Iran, nous commençons à voir des hélicoptères planer haut dans le ciel. Les montagnes sont hérissées de bases militaires qui ressemblent à des chateaux forts. Nous passons des postes de contrôle, auxquels on exige de voir nos passeports ou nos cartes d’identité. Mon ami, qui est turc, ironise: «Tu vois, même le gouvernement pense qu’on n’est plus en Turquie ici!»
Hakkari se trouve à plus de 1’770 km d’Istanbul, dans une région montagneuse majoritairement peuplée de Kurdes. La province est réputée pour sa beauté vierge et naturelle, ses plaines fertiles, ses pics enneigés et son eau claire. Elle est aussi le théâtre d’un conflit permanent, et de nombreux Turcs voient la province comme un foyer du terrorisme. Les combats y sévissent toujours entre le gouvernement et l’armée de guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation militante qui se bat pour l’indépendance kurde depuis les années 1980.
Les hautes montagnes et la proximité des frontières en fait une zone idéale pour les tactiques de guérilla, et la population kurde locale soutient majoritairement l’action du PKK. Comme l’a déclaré un jour Abdullah Öcalan, le leader du parti emprisonné: «Hakkari est la terre où nous sommes les plus forts.» Peu de visiteurs s’y aventurent, et l’omniprésence de l’armée turque donne à l’endroit un caractère inhospitalier.
Je m’y suis rendu en 2013 et 2015, pour enquêter sur une série de projets de barrages financés par l’Etat, dont les habitants de la région disent qu’ils servent à des fins militaires. Certains chercheurs ont indiqué que les «barrages de sécurité», comme on les appelle, faisaient partie d’une stratégie guerrière plus vaste du gouvernement turc pour contrecarrer le PKK. Alors que nous voyageons vers Hakkari en longeant la frontière irakienne, nous apercevons plusieurs de ces structures à demi terminées. Le gouvernement a déclaré que les barrages permettraient d’apporter de l’électricité et d’aider au développement d’une zone marquée par la pauvreté et majoritairement rurale, et qu’ils font partie d’un plan national visant à utiliser toutes les ressources en eaux de la Turquie d’ici 2023.