De tous les membres du gang, seul William est resté. Adossé au chambranle de la porte de la cuisine, dans la pénombre, il me fait signe de le rejoindre. «Les enfants, ce sont les pires ici…» La phrase de mon hôte me revient à l’esprit alors que j’approche de sa silhouette filiforme. Dans l’hôtel, transformé en étuve par le soleil brûlant, il n’y a pas âme qui vive. Rien que la sueur qui dégouline sur nos fronts. Quelques pas me séparent encore de l’adolescent et je ne sais pas ce que je crains le plus, des mains dissimulées derrière son dos ou de la mienne repliée sur le canif qui m’accompagne depuis le début du voyage. Le cœur au bord des tempes, je ne peux m’empêcher de rembobiner le film du mois écoulé. Je prends à rebours l’enchaînement de causes et d’effets qui m’a conduit là, dans cette guesthouse insalubre du sud de Belize City, face à un gamin farouche que mon imagination surchauffée redoute autant qu’elle a peur de le blesser.
A l’autre bout du fil de mes souvenirs, un autre visage en nage se dessine. Celui d’Adolfo, un coupeur de canne à sucre de 25 ans originaire du nord-ouest du Belize. Machette en main, le jeune homme progresse sans peine à travers la jungle, ignorant les attaques incessantes des moustiques qui pullulent dans la nature en délire. Ce labyrinthe luxuriant, dopé à l’humidité, n’a aucun secret pour lui. Régulièrement depuis sept ans, l’ouvrier agricole emprunte les indéchiffrables chemins de traverse que dissimule ce dédale pour transporter des stupéfiants, de la ville bélizienne d’Orange Walk Town jusqu’au Mexique. Ces dernières années, les petites mains industrieuses comme Adolfo ont gagné le surnom de «fourmi», en référence à la méthode utilisée pour assurer le passage de la drogue d’un pays à l’autre. Venue d’Amérique du Sud – principalement de Colombie, du Pérou et de l’Equateur – celle-ci est fragmentée en petits lots à son arrivée au Belize pour faciliter son transit. Pauvres, les terres agricoles du nord du pays ne manquent pas de coursiers pour enjamber la frontière.
La contrebande est une tradition ancienne dans la région. Durant la «guerre des Castes» qui a secoué le sud du Mexique dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les armes transitaient déjà par la forêt tropicale et les champs de canne béliziens pour alimenter les rebelles mayas du Yucatán. La cocaïne a depuis remplacé les fusils.