Pourquoi Alfreda Frances Bikowsky n’a-t-elle pas été virée de la CIA en 2001? On peut comprendre une certaine indulgence envers ceux qui n’ont pas pu empêcher les attaques du 11 septembre. Mais que faire d’un officier de renseignement qui a empêché le FBI d’arrêter les terroristes d’Al-Qaïda? La réponse de la CIA est étonnante: Alfreda Bikowsky est promue. Jouant un rôle toujours plus important dans la guerre contre Al-Qaïda, elle enchaîne bévues sur catastrophes, progressant chaque fois un peu plus dans la hiérarchie de la CIA jusqu’à devenir responsable de l’unité Global Jihad de l’Agence, chargée de combattre le terrorisme islamiste sur toute la planète avec l’équivalent civil du grade de général. Elle est aux côtés du directeur de la CIA Michael Hayden le 14 février 2007, quand il explique à une commission sénatoriale les bienfaits de la torture. Elle prend la parole pour affirmer que la torture «a permis de sauver des centaines, voire des milliers de vies américaines». Un mensonge sèchement démenti fin 2014 par le rapport du Sénat américain.
Certains disent que la torture, elle a ça dans le sang Alfreda. Elle y croit dur comme fer. Les simulacres de noyades, les interrogatoires musclés, les détenus que l’on roue de coups avant de fracasser leur crâne contre les murs: ça ne lui fait pas peur. On pourrait presque dire qu’elle y a pris goût. Sa première expérience de la torture remonte au mois de mars 2003. De son propre chef, elle prend un jet de l’Agence pour se rendre en Pologne afin d’assister dans une prison secrète de la CIA à l’interrogatoire «renforcé» de Khaled Sheikh Mohammed (KSM), le cerveau des attaques du 11 septembre, arrêté peu avant au Pakistan. Les témoins la décrivent surexcitée à l’idée d’assister au waterboarding (noyade simulée) de KSM alors qu’elle n’a rien à faire dans la salle d’interrogatoire. L'un de ses anciens collègues affirme qu’elle pensait que ça serait cool d’être là. Sa présence aurait mis KSM en colère au point de lui permettre de résister un peu plus longtemps aux techniques d’interrogatoire musclées de la CIA. Ses supérieurs lui infligeront une réprimande en affirmant que les interrogatoires ne sont pas «un spectacle». En fait, il semble qu’Alfreda ait été un peu plus qu’une spectatrice des tortures de KSM. Des témoins affirment qu’elle y aurait pris une part active. Interrogée par l’inspection interne de la CIA le 16 juillet 2003, elle affirme avec aplomb que KSM a permis l’arrestation de cinq responsables d’Al-Qaïda. Mensonges, répond onze ans plus tard le rapport du Sénat sur la torture. Le 18 juillet 2003, elle rédige un rapport destiné au directeur de l’Agence dans lequel elle vante les succès du programme d’interrogatoire musclé. «Les informations fournies par KSM ont sauvé des centaines, voire des milliers de vies américaines», écrit-elle sans crainte du ridicule. Soumis plus de 180 fois au waterboarding, KSM a dit tout et son contraire, en fonction de ce que voulaient entendre ses interrogateurs.