Sept.info | Le vivre et l’écrire (3/5)
Bouvier Japon Bouvier Japon
Mur, Japon, 1964-1966. © Nicolas Bouvier / Eliane Bouvier et Musée de l’Elysée, Lausanne - Fonds Nicolas Bouvier​​

Le vivre et l’écrire (3/5)

Le Japon comme révélation: l’admirable talent de conteur du géographe Alexandre Chollier donne corps à l’une des grandes passions de Nicolas Bouvier, dans ce troisième extrait de «Nicolas Bouvier, au gré des géographies» (Paulsen).

Jour de printemps 1967, une fine pluie tombe sur la vieille ville de Genève. Non loin de là, rue de la Corraterie, Nicolas Bouvier sort d’une librairie un livre à la main: Printemps noir d’Henry Miller. Une pépite qui lui avait jusqu’alors échappé. Voilà près d’un an qu’il est de retour du Japon, y ayant passé quatre mois de plus qu’Eliane et les enfants afin de terminer son livre. Mais le livre en question résiste et la fin du récit lui échappe, encore et encore, peut-être parce que, comme il le dit, il «dérape dans l’immense gravats des mots». Le livre de Miller tombe à point nommé car il contient la courte nouvelle intitulée Je porte un ange en filigrane: vingt-six pages d’où montent un entrain formidable et un message qu’il reçoit en plein cœur. Ce message, il ne tarde pas à l’inscrire profondément en lui: «Le vivre et l’écrire ne sont pas séparés d’un cheveu.» Pour Nicolas, voici un véritable satori de lecture, sachant que pour lui, un satori, c’est pareil à un marron qui s’ouvre. Avant d’être ouverte, la chose est pleine de piquants et se tient à distance. Et puis tout à coup le fruit tombe à terre. Peut-être parce qu’aujourd’hui la brise souffle un peu plus fort que d’ordinaire, qu’un changement imperceptible vient de s’opérer dans l’humidité de l’air ou peut-être encore qu’une humeur nouvelle fait frémir les racines de l’arbre. Devant nous, dans l’herbe grasse, une chose est certaine, la bogue s’est entrouverte, découvrant un marron luisant: «C’est brun, c’est lumineux, c’est simple.» Et ça a le bon poids dans la main.

Quelques semaines plus tard, sous une pluie battante, on se presse devant les portes du musée de l’Elysée, à Lausanne. Japon est sorti, tiré à vingt-deux mille exemplaires à destination des personnes abonnées au club du livre des Editions Rencontre. Ce 18 mai 1967, à 20 h 30, une fois le public accueilli et une fois terminée la présentation de l’auteur par Franck Jotterand, rédacteur en chef de la Gazette littéraire à Lausanne – qui a récemment accueilli dans ses pages plusieurs de ses articles japonais –, Nicolas prend la parole dans l’aula du musée. La magie opère alors presque instantanément. Le ton est enjoué, le verbe facile mais pas trop; un vrai ton de «conteur oriental», selon un journaliste présent. Et celui-là, sachons-le, n’en rajoute jamais, il est «attentif à ne pas tomber dans le travers du voyageur suffisant». Oui, il avance dans son propos «sans hâte et sans éclat», toujours avec charme et finesse, montrant ici ou là une diapositive couleur ou noir et blanc – il en a apporté cinquante –, et n’oubliant jamais de ménager un espace suffisant pour embarquer avec lui le public. Ce soir-là, ce dernier est littéralement conquis et, une fois la conférence terminée, l’ovationne. Peut-être parce que, derrière le conteur, il y a une voix instrument «au timbre, au registre, aux espacements, aux silences, aux tenues» particulièrement bien accordés entre eux. Peut-être, et plus vraisemblablement encore, parce que, derrière le conteur, il y a un «être qui vibre».

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