C’est un travail remarquable et inattendu que nous vous proposons ici. Prises entre juillet et août 2014, ces images montrent la lutte inégale que livrent les fermiers aux braconniers de bushmeat, la viande de brousse, en Zambie. Un trafic qui a, comme nous l’explique l’auteur des photographies, Benjamin Rutherford, des ramifications jusqu’en Europe, où la viande de brousse se retrouve sur des étals de marché au Royaume-Uni ou à Paris.
Quand on parle braconnage, on pense plutôt tigres ou éléphants…
Des travaux comme celui de Brent Stirton (photographe sud-africain qui a notamment documenté le massacre des gorilles au Congo et le braconnage des cornes de rhinocéros en Afrique du Sud, ndlr) ont permis d’attirer l’attention de l’opinion publique sur le sort des grands mammifères. Mais la réalité de la situation en Zambie, comme dans d’autres pays d’Afrique, est bien plus complexe. C’est toute la faune qui est concernée par ce problème. Selon le WWF, la Zambie aurait perdu 40% de sa faune sauvage ces quarante dernières années suite au braconnage et à la déforestation intensive. Malgré cela, la faune, répartie sur une vaste surface de 231’000 km2, demeure encore très diversifiée et représente un énorme potentiel touristique à exploiter.
Dans quel sens?
Prenez l’Afrique du Sud. Le pays a su faire fructifier la richesse que constitue sa faune sauvage grâce aux safaris touristiques et à la chasse légale. L’industrie de la faune sauvage est estimée à 795,5 millions de dollars, dont un très large pourcentage provient de la chasse légale. Certains clients sont prêts à mettre beaucoup d’argent pour un trophée. En Zambie, la même industrie vaut 16 millions de dollars seulement en raison du braconnage, du cadre légal médiocre et du manque d’investissement. Si le pays ne fait rien, dans le pire des cas, cette industrie s’effondrera d’ici les dix prochaines années. Il doit encore fournir énormément d’efforts pour protéger cette richesse. Le braconnage est hors de contrôle.
Comment avez-vous eu vent de ce problème?
Je suis né au Zimbabwe, puis j’ai grandi dans une ferme en Zambie. Quand j’étais enfant, le WWF a créé une petite zone protégée pour la faune et la flore sauvages sur la propriété. Cela a probablement éveillé mon intérêt pour la faune et les problèmes liés à la conservation des espèces. Mais avant de documenter l’impact sur les animaux, je voulais montrer les raisons qui poussent les gens à braconner ainsi que les répercussions humaines et les ramifications locales de ce commerce illégal.
Pourquoi la viande de brousse est-elle si prisée?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, sa consommation n’est liée à la pauvreté que dans une moindre mesure. Dans les zones urbaines, la viande de brousse est 40% plus chère que celle de boeuf, de poulet ou de chèvre. Beaucoup d’habitants pensent qu’elle est plus saine, une source naturelle de protéines, sans additifs et conservateurs. Résultat, 2,5 tonnes de bushmeat, ou nyama, sont consommées chaque année dans la province du Copperbelt (riche en gisements minéraux, ndlr). A Lusaka, la capitale, où la classe moyenne est en pleine expansion, on estime que 90% de la viande consommée est braconnée, même si ce chiffre est impossible à vérifier. La demande ne cesse d’augmenter, car consommer de la viande est synonyme de statut social élevé. Et puis, la communauté expatriée en est aussi friande. On retrouve de la viande braconnée jusque à Paris ou Londres.