Une enfance à la Mozart (1/4)

Douée au point de parvenir à cette intonation «aussi presque parfaite que le permet l’oreille humaine», la violoniste Camille Urso connaît une enfance qui rappelle celle de Mozart. Dans «Je suis née au son du violon» (Ed. Infimes), Bénédicte Flye Sainte Marie met fin à une belle injustice en retraçant le parcours d’une violoniste hors norme mais oubliée, qui a bouleversé le XIXe siècle de Paris à San Francisco en passant par Sydney.

Camille Urso Camille Urso
Camille Urso, entre 1901 et 1903. © Library of Congress

L’arrivée à Paris de Camille, Salvatore et Caroline Urso se fit dans une capitale en pleine fièvre. En cette fin de printemps 1849, Paris était aux prises avec une terrible épidémie de choléra, maladie qui ne cessait de la prendre dans ses griffes, ne la relâchant que pour mieux la reprendre depuis 1832. Frappant sans distinction anonymes et célébrités, elle venait d’emporter, le 11 mai, l’une des femmes de lettres les plus célèbres de son temps, Madame Récamier. Mais la menace de cette peste contemporaine ne suffit pas à décourager les Urso d’y prendre leurs quartiers. Les trois s’installèrent fin mai rue Saint-Nicolas d’Antin, à quelques encablures de l’Hôtel d’Epinay, où Frédéric Chopin, l’un des futurs compositeurs favoris de Camille, avait occupé un logement de 1833 à 1836. Tout près, se trouvait aussi le numéro trente-huit de la Chaussée d’Antin où le même Chopin résida de 1836 à 1839 et donna des récitals où l’on retrouvait Eugène Delacroix, Franz Liszt et la comtesse Marie d’Agoult. C’est donc un peu de l’esprit de l’amant de George Sand qui les accompagna dans leur aménagement.

Si elles étaient beaucoup plus spartiates que les hôtels particuliers de la Nouvelle Athènes voisine et s’il leur fallait fréquemment croiser quelques lorettes venues y vendre leurs charmes, les chambres que Salvator y loua sous les toits, l’une pour Caroline et Camille, l’autre pour lui, aussi exiguë qu’un cabinet de toilette, avaient l’avantage d’être placées à proximité du Conservatoire national de musique et de déclamation, à l’angle de la rue Bergère et du faubourg Poissonnière. Or, l’établissement, refondé par un décret de Napoléon en 1806, était le fief sur lequel Salvatore, père de famille obstiné, concentrait ses vues et espoirs. Au bout de deux jours, à peine le temps d’ouvrir ses malles, d’agencer ses effets et de nouer quelques contacts, Salvatore se rendit dans le lieu si convoité. L’établissement était alors sous la baguette de deux hommes, son secrétaire général, Alfred-Anax de Beauchesne, quarante-cinq ans, qui faisait déjà partie des murs quand le compositeur italien Luigi Cherubini le dirigeait et Daniel-François-Esprit Auber, qui avait succédé à ce dernier à la tête de cette institution en 1842. Digne disciple de son maître Cherubini qui arborait en toutes circonstances un air acrimonieux, Beauchesne était sec et austère, sorte de gardien du temple qui veillait à ce que rien n’altère la réputation du prestigieux institut. Auber, son exact opposé, était un sémillant sexagénaire qui avait fait chavirer l’Hexagone avec ses opéras-comiques et charmait, malgré son âge, tous ceux qu’il rencontrait. Seuls ceux auxquels son succès inspirait de la jalousie le considéraient comme un «faiseur», beaucoup trop léger et porté sur les plaisirs de la vie pour mériter à leurs yeux d’être considéré comme un compositeur majeur. Dans la biographie qu’il lui dédia, Charles Malherbe disait ainsi qu’il «faisait danser les chaises». Berlioz lui reconnaissait «une fraîcheur d’idées incroyable» alors que le vachard Rossini estimait «qu’il faisait de la petite musique mais l’écrivait en grand musicien». Ce que ne démentait d’ailleurs pas l’intéressé «Si j’assistais à l’un de mes ouvrages, je n’écrirais de ma vie une note de musique» confiait-il avec humour.

Le premier entretien sollicité par Salvatore dans le saint des saints n’eut tout simplement pas lieu. Barrière, l’un des six concierges de l’école, le reconduisit sans politesse excessive vers la sortie, invoquant l’absence de M. de Beauchesne. Le manège se reproduisit souvent, à la façon des gags qui naitraient un demi-siècle plus tard sur la pellicule du cinématographe des frères Lumière. Ce n’est qu’aux premiers jours de juin que le fameux Alfred de Beauchesne condescendit enfin à le recevoir dans son bureau, un espace encombré dont le désordre sympathique détonnait avec les manières peu affables du personnage. Il se murmurait d’ailleurs dans les couloirs que ce dernier, collectionneur aux tendances idolâtres d’autographes d’illustres musiciens, acteurs, chanteurs et peintres amoncelait dans ses tiroirs secrets certains de ces paraphes célèbres qui auraient normalement dû rejoindre les archives du conservatoire et qu’il avait même détourné certains registres personnels appartenant à feu son maitre Luigi Cherubini. Ce que confirmerait d’ailleurs plus tard une enquête interne menée après la mort de Monsieur de Beauchesne, en 1877... Beauchesne ne récompensa pas Salvatore de sa patience et lui servit un discours plutôt lapidaire quand celui-ci lui exposa son projet d’y faire entrer sa fille «Camille n’obéit à aucun des critères nécessaires pour nous rejoindre, Monsieur Ursooo» pérorait-il en allongeant exagérément ses voyelles. «D’abord, il n’a pas pu vous échapper que c’est une fille. Et puis, cette enfant est bien trop jeune pour assimiler l’enseignement exigeant que nous dispensons». Mauvaise foi mise à part, il manquait effectivement quelques mois à Camille pour pouvoir prétendre se présenter aux auditions. Elle les fêterait en juin, mais n’avait pas encore neuf ans, qui était l’âge minimal d’admission, comme le préciserait le texte édité par Auber l’année suivante, en 1850: «L’âge d’admission aux classes est 9 à 22 ans, les exceptions n’existent qu’en faveur des sujets de grande espérance». Quant à son sexe, décrit comme une entrave si ce n’est comme une incapacité par Beauchesne, il ne l’était pas systématiquement. Dès sa création en 1795, le Conservatoire de Paris avait en effet été conçu pour être mixte. Et il était effectivement d’usage de n’accepter les demoiselles que dans les sections de solfège, de clavier, de chant et d’art dramatique et de les tenir à l’écart des cours d’instruments à vents, à cordes, de composition et d’harmonie. Mais certaines avaient cependant réussi à passer outre cette loi implicite, aidées en cela par le prestige des familles auxquelles elles appartenaient et peut-être les généreux dons que ces dernières versaient au conservatoire. Apparentée à la lignée des comtes de Bassanville, Félicité Lebrun était entrée au conservatoire en 1796, peu après son ouverture, et y avait été admise dans la classe «hommes» de violon de Pierre Baillot. En 1815, c’est au tour d’Elisabeth Blanchet, à la base élève-pianiste au conservatoire d’obtenir l’insolite privilège d’être formée ensuite au violon par Rodolphe Kreutzer.

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