La porte verte à double battant ne donne pas l’impression de s'ouvrir sur une chambre. Elle dévoile une grande pièce au plafond haut et au parquet qui craque. L'imposant bureau, surmonté d’un téléphone de standard et d’un ordinateur, occupe tout l’espace. Le lit à une place, quant à lui, est discrètement dissimulé derrière une petite étagère, comme pour se faire oublier. C’est la première fois que nous mettons les pieds dans la chambre d’un ecclésiastique. Comme tous les jésuites, le Père Salembier n’a pas d’habit religieux: il est vêtu d’un pantalon de toile et d’un polo rayé. Souriant, il nous regarde par-dessus ses lunettes, un peu sur la réserve. Il nous invite à nous installer, mais on ne sait pas trop où se mettre. Nous sommes dans nos petits souliers. Lui aussi. «Ici, d’ordinaire, je ne reçois en entretien que les frères de ma communauté», dit-il en passant la main sur son crâne dégarni. On discerne à sa voix posée et à sa diction appliquée le professeur à la retraite.
Autour de nous des meubles simples sur lesquels sont posées des statuettes rapportées d’une mission en République démocratique du Congo. «Ça me paraît très important d’être bien chez soi», précise-t-il d’un ton un peu emprunté. Mais voilà, Pierre Salembier s’apprête à quitter cet espace qu’il a scrupuleusement décoré à son arrivée. Déjà, il regrette la vue plongeante sur la basilique Saint-Seurin, en plein centre-ville de Bordeaux. Dans quelques semaines il s’installera à Athènes, dans une autre communauté de la Compagnie de Jésus. Il a beau être déjà parti en mission à l’étranger, cette fois, il a la boule au ventre. «J’appréhende un peu le changement», confesse-t-il.
En attendant, il doit vider ses étagères chargées de CD de musique classique, de bibles, de livres de théologie et de philosophie, de dictionnaires bilingues. Il n’y a souvent rien de mieux qu’un déménagement pour faire le tri et garder l’essentiel. La chambre du religieux n’échappe pas à la règle. Reste à savoir ce qui est essentiel à ses yeux… Comme ce tas de carnets poussiéreux cachés derrière le bureau. Ils forment un long journal intime, commencé il y a un demi-siècle, dans lequel le père Salembier consigne quotidiennement les événements qui jalonnent ses journées: «C’est ce qui me donne la saveur des jours.» Ces carnets feront donc partie du voyage. Les jésuites prennent l’habitude de tenir un journal dès le noviciat. Ils apprennent aussi à prier dans leur chambre. «C’est dans l’Evangile, justifie Pierre Salembier. Jésus dit “quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret”»