Le lendemain matin, le réceptionniste nous informe que nous sommes attendus, dans le lobby. Nous terminons en hâte notre petit-déjeuner continental et nous y retrouvons un adjoint du directeur de l’Alliance française. Bangladais, il parle un français littéraire qui nous charme par ses formulations quelque peu désuètes.
Il nous informe que le rendez-vous ne peut avoir lieu sur le chantier naval ce jour-là. La direction de la société, qui souhaite nous recevoir personnellement, ne se trouve pas à Chittagong. Il faut donc reporter la visite. Patienter. Espérer qu’aucun contretemps fâcheux ou quelque décision irrévocable ne viendra contrarier notre reportage.
En attendant, nous ne restons pas inactifs. Une rencontre impromptue nous est alors proposée, qui va nous conduire à la découverte du fleuve longé la veille en voiture. Le long de son cours, des familles entières de pêcheurs et de paysans luttent pour leur survie, car la mousson et l’érosion des terres les mettent en péril chaque année. Des villages sont régulièrement inondés, des maisons détruites et des cultures dévastées. Pour survivre, la population vient alors grossir la misère urbaine.
Celui qui doit nous emmener à la découverte du fleuve Karnaphuli est un personnage légendaire au Bangladesh: Yves Marre, un Français qui a tout sacrifié à la cause sanitaire de ce pays. La péniche qu’il a convoyée des canaux du Midi au golfe du Bengale, puis transformée en hôpital, est une institution qui lui a valu le titre mérité de navigateur humanitaire. Désormais, il vient en aide aux gens du fleuve jusque dans les zones les plus reculées de la forêt. Il est aujourd’hui le patron d’un petit chantier naval, dont il nous ouvre grand les portes afin de nous faire partager un jour de sa vie.