Sisteron. Tiens, il
y a comme un écho du chant des cigales dans ce nom. Notre rite: nous
arrêter au bord de l’autoroute, ouvrir les vitres de la voiture,
nous ouvrir, écouter. Elles sont là, les premières des vacances. A
notre rituel répond celui des cigales. Dès le premier soir, tandis
que la lumière se retire des vignes autour de nous et que les
parfums s’éveillent dans le jardin, délivrés de la chaleur qui
les a faits s’assoupir durant le jour, elles se taisent les unes
après les autres; jusqu’à ce que, dans le silence d’ombre bleue
qui se fait tout à l’entour, l’une d’elles soudain lance à
nouveau son chant, solitaire dans le pin d’Alep le plus proche.
Deux ou trois autres lui répondent bientôt. On dirait que ce sont
elles qui allument ainsi les premières étoiles. Puis, ayant
accompli cet office, elles rejoignent la nuit qui s’épaissit. Il
arrive que, dans les rues et sur les places des villages,
désorientées par les réverbères, elles n’arrivent pas à se
taire au bon moment. Dans ce cas, il faut bien l’admettre, l’erreur
est humaine.
Le matin, un peu avant huit heures, elles crépiteront d’un coup dans les pins, embrasant la colline. Le bleu du ciel qui flamboie à l’infini, c’est leur travail. C’est d’elles, qui le frottent sans cesse, qu’il tient son éclat. Trois semaines durant, elles seront notre musique. Je les ai même enregistrées un matin dans mon téléphone portable, histoire de les écouter lorsqu’il fait trop brouillard en hiver.
Nous les avons vues, un autre été, condamnées au silence par le froid d’une tempête de mistral qui les arrachait aux arbres et les jetait par poignées à la mer. Les vagues ressassaient leurs cadavres contre le rivage.
Allons! Laissons ce désastre au passé, pour habiter leur cymbalisante amitié d’aujourd’hui. Pour nous laisser habiter. Et descendons plutôt chez nos amis vignerons. Les nouvelles depuis Pâques. Et tout. Et rien. A un moment, l’une des filles de la maison, qui s’occupe de la cave, nous parle d’une visiteuse qui est passée déguster les vins quelques jours plus tôt. Elle est venue s’établir dans la région, s’est acheté une maison ou un appartement du côté du village. Ne tarit pas d’éloges, comme on dit, sur la beauté de la région, son calme. «Mais les cigales! Il n’y aurait pas un produit pour nous en débarrasser?» On ne vient plus ici rencontrer un monde différent du nôtre; on veut le plier à notre convenance. On veut être respecté, on ne respecte plus. On a des droits, des droits, des droits.
Je veux, cher Monsieur! J’ai payé assez cher mon logement.
Chère Madame, Simone Weil a écrit un livre, L’Enracinement, où elle aimerait fonder une Déclaration des devoirs envers l’être humain. Nous avons découvert depuis, et la Nature elle-même nous le rappelle, que nous avons des devoirs qui s’étendent à l’ensemble de notre planète. Et que l’on ne respecte pas l’être humain si l’on ne respecte pas le monde dans lequel il vit.