Sept.info | Les prédateurs suisses de l’or sud-africain

Les prédateurs suisses de l’or sud-africain

L’aventure entrepreneuriale de la famille DuBois au Transvaal illustre les rapports qu’a entretenus la Suisse avec l’impérialisme occidental dès le XIXe siècle. Une page sombre et méconnue de notre histoire nationale que les historiens tentent de reconstruire.

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Extrait d’un ensemble de quatre peintures en rouleaux représentant des campements de la famille Perrin au Transvaal, Elands Hoek, pendant les recherches d’or entre 1881 et 1884. Crayon, aquarelle et gouache sur papier marouflé sur toile. © Raphaël Susitna

Aux Etats-Unis, Cora DuBois (1903-1991) est connue pour avoir été une pionnière de l’anthropologie culturelle ainsi que la première femme à avoir enseigné cette discipline à l’Université de Harvard. En Suisse, sa famille est à l’origine de la première fabrique d’horlogerie du pays dans la commune du Locle, au sommet du Jura neuchâtelois. Mais pourquoi le père de Cora, Jean DuBois (1869-1922), a-t-il émigré en terres américaines en 1899? Parce qu’il a fui le Transvaal, une contrée située à l’époque dans la partie septentrionale de l’actuelle Afrique du Sud où il a habité pendant huit ans. S’il a déguerpi, ce n’est pas à cause de l’éclatement de la seconde guerre anglo-boer, comme l’a affirmé Susan Christine Seymour, biographe de la célèbre anthropologue helvético-américaine, dans son ouvrage paru en 2015. La raison de son exode est tout autre: Jean DuBois et son frère Philippe se sont enrichis à millions au Transvaal, en escroquant amis et concurrents. Adepte de la spéculation, le père de Cora, comme d’autres compagnons d’aventure, est devenu une sorte de criminel financier... qui a, de surcroît, perdu tous les millions qu’il avait empochés. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la Confédération suisse, il a donc pris la fuite: destination les Etats-Unis, où vivaient les parents de sa femme Mattie Schreiber (1878-1963). Cora DuBois naîtra quelques années plus tard, après cette aventure transvaalienne.

Cet événement n’a jamais été raconté dans les livres d’histoire neuchâteloise ou suisse. Peut-être parce qu’il aurait pu mettre à mal la réputation d’une famille, d’un canton ou même d’un pays, la Suisse n’ayant jamais été soupçonnée d’avoir participé dès le XIXe siècle à la prédation économique du monde colonial. Les archives privées de la Maison DuBois au Locle, renfermées dans une sorte de salle d’exposition au sein du Bed & Breakfast éponyme n’en conservent pratiquement aucune trace non plus. Pour arriver à reconstruire la trajectoire du père de Cora en Afrique du Sud, nous avons mené une enquête archivistique, presque policière, sur la base de sources fragmentaires éparpillées en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, en Suisse, en Allemagne et en France. Cela nous a conduit sur les traces des principales fonderies de Francfort-sur-le-Main (groupe Degussa) dirigées par les Andreae – une riche famille de banquiers allemands alliée en affaires et par voie matrimoniale aux DuBois –, dans les coulisses de la diplomatie helvétique, les banques parisiennes et neuchâteloises, la villa du Premier ministre colonial britannique Cecil Rhodes au Cap et les sites missionnaires helvétiques des montagnes sud-africaines.

Les documents généalogiques de la famille DuBois conservés au Locle attestent de son enracinement dans cette communauté montagnarde neuchâteloise depuis le XVIe siècle. Par des stratégies matrimoniales et migratoires, plusieurs branches se sont établies à l’étranger, notamment en France, aux Pays-Bas et en Prusse. Déjà présents dans le commerce du textile, les DuBois développent au cours du XVIIIe siècle une activité horlogère importante, tant au niveau de la fabrication que de la vente de montres et pendules. Lancée par Moïse DuBois (1699-1774), elle est poursuivie par son fils Philippe (1738-1808) et sa descendance. Ce dernier fonde en 1785 la première fabrique horlogère de Suisse, Philippe DuBois & Fils, une enseigne qui existe encore sous l’enseigne DuBois et Fils. Transmise de père en fils durant les deux siècles suivants, sa direction s’appuie sur le vaste réseau familial et commercial en Europe pour croître ailleurs dans le monde. Au Locle, la famille réside dans la Maison DuBois, située dans l’actuelle Grand-Rue 22, qui comprend, outre l’habitation, l’atelier de production horlogère. Investis politiquement à l’époque du gouvernement monarchique prussien à Neuchâtel, les DuBois, fidèles à leur tradition aristocratique et très liés aux coteries dirigeantes de Prusse, abandonnent presque complètement les affaires publiques après la révolution républicaine de 1848. Lors de la tentative de contre-révolution de 1856, ils rejoignent les rangs réactionnaires avec d’autres grandes familles horlogères locloises comme les Jürgensen et les Faure (auxquels ils sont liés, entre autres, par mariage). Marginalisée par le nouveau cadre politique, l’ancienne noblesse ne reste cependant pas inactive sur la scène locale. En effet, nous retrouvons les DuBois parmi les fondateurs de l’Hôpital de la ville (1856) et de la Banque du Locle (1864), ainsi que de l’Eglise indépendante du canton de Neuchâtel (1873). Sans parler de leur dense présence dans les cercles d’érudition – lieux de haute sociabilité et d’intégration bourgeoise – tels que les sociétés littéraires, d’histoire et de géographie.

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