Je me réveille au camp 1, sous le ciel laiteux de l’aurore. Nous nous trouvons sur un plateau pas plus grand ni plus profond que deux terrains de football, avec une vue panoramique sur les plaines inférieures: Doğubayazıt au sud-ouest et les collines escarpées de l’Iran au sud-est. L’étoile rouge, jaune et verte du Kurdistan et l’acronyme des rebelles kurdes (PKK) sont peints sur un gros rocher surplombant le camp. Deux chiens de berger aux poils épais et emmêlés rôdent en courbant la tête jusqu’au sol, tels deux vieilles dames voûtées. «Avez-vous entendu les coups de feu la nuit dernière?» me demande notre guide Selahattin, gardant un œil sur son samovar bouillonnant. Hier, un alpiniste allemand et un nomade local sont tombés sur une mare de sang, d’organes et d’ossements alors qu’ils redescendaient de la montagne, raconte Selahattin. Presque immédiatement après, ils ont aperçu le coupable à quelques pas de là. Le nomade a tiré trois fois, mais le loup s’est échappé. «Là-haut, ils mangent régulièrement de l’homme», racontait Mackenzie à propos des loups d’Ararat dans une vidéo Youtube. Il a peut-être exagéré pour impressionner ses amis, mais il est vrai que les loups sont connus pour tuer aussi bien les bergers que les moutons, dans la montagne. Certaines personnes ont suggéré qu’un loup aurait pu tuer Mackenzie, mais lorsque j’ai évoqué cette possibilité devant Selahattin, il a répondu: «Si ça avait été un loup, il y aurait eu des ossements.» Et c’est l’un des principaux problèmes: il n’y a pas d’ossements. En 2010, de nombreuses recherches ont été effectuées, mais le corps de Mackenzie n’a pas été retrouvé. Sa famille pense que davantage de choses auraient pu être faites à l’échelle officielle. D’autres pensent que le rechercher est tout simplement trop dangereux. «J’ai dit à mon partenaire financier que je voulais me rendre au lac Kup pour trouver Mackenzie et découvrir ce qui lui était arrivé, raconte Amy Beam, de l’agence d’expéditions du mont Ararat. Il m’a dit: “Laisse tomber cette histoire, car on ne sait pas s’il est mort ou s’il s’est fait tuer. Si tu t’approches de la vérité, tu pourrais être en danger”»
A une certaine distance, le mont Ararat ressemble à une huile sur toile japonaise du mont Fuji, à la fois un prodige d’exaltation et de perdition. C’est un point de vue arrêté, mais lorsque vous grimpez dans la montagne, les choses changent. Au-dessus du camp 1, à 3’000 mètres, on pénètre dans une nouvelle dimension géologique. Les pâturages laissent place à la roche volcanique et la montagne est morne plaine. Engourdis par le soleil, mettant une chaussure poussiéreuse pied devant l’autre, nous progressons lentement et en silence. Puis Selahattin se dirige vers un ravin à l’ouest. «J’ai trouvé la tente de Donald par ici, à 3’800 mètres, dit-il. Je savais que c’était sa tente, car je grimpais toujours avec lui.» Le frère de Selahattin, qui n’avait pas pris la route de randonnée mais un raccourci, a été le premier à apercevoir la tente. «Elle était abîmée par le soleil et il a trouvé des cuillères, des haricots et des boîtes de conserve à l’intérieur. Rien de plus. Je ne sais pas, peut-être que quelqu’un l’a découverte avant lui. Peut-être que d’autres personnes ont pris son passeport avant que mon frère n’arrive.» S’il s’agit réellement du lieu de campement de Mackenzie, c’est ici, juste en dessous de la frontière neigeuse et des pentes vertigineuses du volcan qu’il a passé son dernier appel à sa famille. Cela veut aussi dire que Mackenzie dormait tout à côté du site où le NAMI (Noah's Ark Ministries International, le Ministère international de l’arche de Noé) dit avoir trouvé l’arche de Noé. C’est dans ce paysage, dans ce canyon rouge qu’une vidéo de l’organisation montre des hommes vêtus de combinaisons Hazmat blanches (hazardous materials, produits dangereux), comme sur une scène de crime de film hollywoodien, glissant dans des cavernes de glace et touchant de grandes plaques de bois.