Retenu durant plus de trois ans comme otage à la cour, Henri réussit enfin à s’enfuir le 3 février 1576 lors d’une partie de chasse à Senlis (1). Il redevient chef du parti huguenot et abjure la foi catholique quatre mois plus tard. S’il soutient toujours le mouvement des Malcontents, qui regroupent les catholiques et les réformés modérés en lutte contre le gouvernement, il ne partage cependant pas les positions tranchées de son cousin, le prince de Condé, qui lutte avec acharnement en faveur de la cause protestante. A vrai dire, Henri cherche à ménager la couronne de France et cherche à s’assurer la charge de gouverneur en Guyenne (2). C’est pourquoi il ne s’engage qu’avec retenue lors de la sixième guerre de religion. «Henri a combattu avec tant de mollesse que son cousin Condé lui en a fait des reproches […]» (3) De ce fait, il suscite tant la méfiance des réformés, qui dénoncent son manque d’engagement, que des catholiques, haïssant le chef du parti opposé. Comme l’avance Jean-Pierre Babelon, Henri de Navarre est sujet à trois handicaps, qui le cantonnent alors à ne jouer qu’un rôle régional: «La mauvaise impression laissée dans le public par ses abjurations successives, ses infidélités aux dernières volontés de sa mère, ses légèretés de jeune prince insouciant et coureur.» (4)
D’octobre 1578 à mai 1579, le roi de Navarre reçoit à plusieurs reprises Catherine de Médicis dans son château de Nérac, dans la Garonne. Elle lui ramène sa femme, Marguerite, restée à la cour après la fuite de son mari, afin de tenter de le rallier à la politique du roi de France. «Commencent alors les beaux jours de Nérac, seul épisode heureux d’une vie conjugale traversée par toutes les tempêtes. Pour Marguerite surtout, ce fut l’époque bénie de son existence» (5). Mais, relève Emmanuel Le Roy Ladurie, «l’incompatibilité d’humeur séparera pour toujours les deux époux, après quelques tentatives de boiteuse cohabitation. Henri va demeurer bien longtemps semi-célibataire de fait» (6), tombant sous le charme de nouvelles maîtresses. Durant ces quelques mois, il va régner à Nérac (7), sous l’impulsion du couple royal de Navarre à nouveau reconstitué, une atmosphère légère et festive. En effet, «Nérac s’offre magnifiquement à ce séjour enchanteur de la cour de Navarre. L’agrément du château, la beauté du site et le souvenir poétique de Marguerite d’Angoulême en font pour un temps l’Athènes gasconne» (8). Janine Garrisson ajoute que «la cour d’Henry, qu’elle se tienne à Nérac ou qu’elle se divise pour suivre le prince dans ses déplacements, ressemble aux cours princières telles qu’Hollywood à sa grande époque aurait pu les reconstituer» (9). La cour prend plaisir à participer aux différents jeux (paume, quilles, billard), aux danses et aux parties de chasse. Elle accueille Michel de Montaigne, ainsi que des poètes, parmi lesquels Du Burtas. Henri et Marguerite s’amusent; il n’en demeure pas moins qu’Henri jette consécutivement son dévolu sur Dayelle, puis Rebours, et surtout sur Françoise de Montmorency-Fosseux (10), «l’une des espionnes de l’oreiller à la solde de Catherine de Médicis» (11). Mais dans la longue liste des maîtresses royales, Diane d’Andouins (12), comtesse de Gramont et de Guinche, Gasconne elle aussi, est une courtisane à part: Henri l’aime, de manière passionnée. Leur relation dure de 1583 à 1590. Cette jeune veuve, qui s’est appelée elle-même Corisande après lu l’Amadis de Gaule, soutient financièrement son amant, qui lui promet le mariage. Les conquêtes féminines du Béarnais, tout comme l’absence d’enfants issus de l’union, conduisent à la rupture couple. C’est au tour de Gabrielle d’Estrées d’apparaître dans la vie et le lit du roi.
Alain Chardonnens, historien, enseignant-formateur à l'Université de Fribourg