La campagne d'Italie de Bonaparte, Premier consul

Dans ce chapitre, Alexandre Dumas retrace le déroulement de la campagne d'Italie, notamment la bataille de Marengo, au cours de laquelle Bonaparte défit les troupes autrichiennes de Mélas. Le Premier consul Napoleone Buonaparte avance pas à pas vers le trône...

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Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, Jacques-Louis David,1800.© DR

Marengo! Dans sa biographie de Napoléon publiée en 1839, Alexandre Dumas retrace le déroulement de la campagne d’Italie. Revenu d’Egypte et fraîchement nommé Premier consul, Bonaparte nomme Masséna en remplacement de Championnet, qui, malade du typhus, a demandé à être relevé. Avec sous ses ordres les généraux Soult et Suchet, André Masséna et son Armée d’Helvétie part soutenir les assiégés de Gênes. Pendant ce temps, à Dijon, Bonaparte constitue une armée pour soutenir les troupes de Masséna, bloquées depuis des mois par le siège de Gênes et qui manquent de nourriture. Le Premier consul confie à Moreau l’action principale de son plan, c’est-à-dire l’attaque de l’Autriche par le sud de l’Allemagne. Pendant ce temps, lui-même passera les Alpes par le col de Saint-Gothard, puis enveloppera l’armée autrichienne et tombera sur ses arrières. Le Premier consul défait les troupes autrichiennes à Marengo en 1800. Alexandre Dumas explique la stratégie du Premier consul, qui vise à battre Mélas: «Il [Mélas] a dans Alexandrie ses magasins, ses hôpitaux, son artillerie, ses réserves.» Indiquant le Saint-Bernard: «Je passe les Alpes ici, je tombe sur ses derrières avant qu’il ne se doute que je suis en Italie, je coupe ses communications avec l’Autriche, je le joins dans les plaines de la Scrivia.» Plaçant une épingle rouge à San-Giuliano: «Et je le bats ici.» C’est une victoire totale. Le retard de Moreau, qui doit faire diversion en attaquant en Allemagne le général Kray, mais surtout la dureté du siège de Gênes, obligent Bonaparte à franchir les Alpes par le chemin le plus court, mais aussi l’un des plus difficiles: le Grand-Saint-Bernard. Il a conçu une nouvelle manœuvre: occuper, sur la route de Plaisance à Gênes, le défilé de la Stradella pour contraindre les Autrichiens à la retraite et couvrir Milan.

Alexandre Dumas explique la suite des évènements: «Le 15 juillet 1801, Bonaparte signe un concordat avec le pape. Le 21 janvier 1802, il accepte le titre de président de la République cisalpine. Le 2 août suivant, il est nommé consul à vie. Le 21 mars 1804, il fait fusiller le duc d’Enghien dans les fossés de Vincennes.» Comme le dit Alexandre Dumas dans ce chapitre: «Le Premier consul marchait insensiblement vers le trône, et Bonaparte se faisait peu à peu Napoléon.»

Alain Chardonnens, historien

Un documentaire audio relatant la campagne d'Italie de Napoléon Bonaparte.

Napoleone Buonaparte

Le premier soin de Bonaparte, en arrivant à la suprême magistrature d’un Etat tout saignant encore de la guerre civile et étrangère, et tout épuisé de ses propres victoires, fut de tenter d’asseoir la paix sur des bases solides. En conséquence, le 5 nivôse an VIII de la République, mettant de côté toutes les formes diplomatiques dont les souverains enveloppent d’habitude leur pensée, il écrivit directement et de sa main au roi Georges III pour lui proposer une alliance entre la France et l’Angleterre. Le roi resta muet, Pitt se chargea de répondre: c’est dire que l’alliance fut refusée. Bonaparte, repoussé par Georges III, se tourna vers Paul Ier. Connaissant le caractère chevaleresque de ce prince, il pensa qu’il fallait vis-à-vis de lui agir en cavalier. Il rassembla dans l’intérieur de la France les troupes russes prises en Hollande et en Suisse, il les fit habiller à neuf et les renvoya dans leur patrie sans leur demander ni rançon ni échange. Bonaparte ne s’était pas trompé en comptant sur cette démarche pour désarmer Paul Ier. Celui-ci, en apprenant la courtoisie du Premier consul, retira les troupes qu’il avait encore en Allemagne et déclara qu’il ne faisait plus partie de la coalition.

La France et la Prusse étaient en bonne intelligence, et le roi Frédéric-Guillaume avait scrupuleusement observé les conditions du traité de 1795. Bonaparte envoya Duroc auprès de lui pour le déterminer à étendre le cordon de ses troupes jusque sur le Bas-Rhin afin d’avoir une ligne moins considérable à défendre. Le roi de Prusse y consentit et promit d’employer son intervention auprès de la Saxe, du Danemark et de la Suède pour qu’ils observassent la neutralité. Restaient donc l’Angleterre, l’Autriche et la Bavière. Mais ces trois puissances étaient loin d’être prêtes à recommencer les hostilités. Bonaparte eut donc le temps, sans les perdre de vue, de jeter les yeux sur l’intérieur. Le siège du nouveau gouvernement était aux Tuileries. Bonaparte habitait le palais des rois, et peu à peu les anciens usages de la cour reparaissaient dans ces appartements dont les avaient chassés les conventionnels. Au reste, il faut le dire, le premier des privilèges de la couronne que s’arrogea Bonaparte fut celui de faire grâce. M. Defeu, émigré français pris dans le Tyrol, avait été conduit à Grenoble et condamné à mort. Bonaparte apprend cette nouvelle, fait écrire par son secrétaire sur un bout de papier: «Le Premier consul ordonne de suspendre le jugement de M. Defeu», signe cet ordre laconique, l’expédie au général Ferino, et M. Defeu est sauvé. Puis commence à se faire jour cette passion qui tient chez lui la première place après celle de la guerre, la passion des monuments. D’abord, il se contente de faire balayer les échoppes qui encombrent la cour des Tuileries. Bientôt, en regardant par l’une des fenêtres, offusqué qu’il est de l’interruption du quai d’Orsay, où la Seine, en débordant tous les hivers, empêche les communications avec le faubourg Saint-Germain, il écrit ces mots: «Le quai de l’Ecole de natation sera achevé dans la campagne prochaine» et les envoie au ministre de l’Intérieur, qui se hâte d’obéir. Le concours journalier des personnes qui traversent la Seine sur des batelets, entre le Louvre et les Quatre-Nations, indique en cet endroit la nécessité d’un pont: le Premier consul envoie chercher MM. Percier et Fontaine, et le pont des Arts s’étend d’une rive à l’autre comme une construction magique.

La place Vendôme est veuve de la statue de Louis XIV: une colonne fondue avec les canons conquis sur les Autrichiens dans une campagne de trois mois la remplacera. La halle au blé incendiée sera reconstruite en fer; des lieues entières de quais retiendront, d’un bout à l’autre de la capitale, les eaux de la rivière dans leur lit; un palais sera bâti pour la Bourse; l’église des Invalides sera rendue à sa destination première, brillante comme au jour où elle étincela pour la première fois au feu du soleil de Louis XIV; quatre cimetières, qui rappelleront les Nécropolis du Caire, seront placés aux quatre points cardinaux de Paris; enfin, si Dieu lui prête temps et puissance, une rue sera percée, qui s’étendra de Saint-Germain l’Auxerrois à la barrière du Trône: elle aura cent pieds de large; elle sera plantée d’arbres comme les boulevards et bordée d’arcades comme la rue de Rivoli; mais pour cette rue, il faut qu’il attende encore, car cette rue doit s’appeler la rue «impériale». Pendant ce temps, la première année du dix-neuvième siècle préparait ses merveilles guerrières. La loi du recrutement s’exécutait avec enthousiasme, un nouveau matériel militaire s’organisait, les levées d’hommes, à mesure qu’elles s’opéraient, étaient dirigées depuis la rivière de Gênes jusqu’au Bas-Rhin. Une armée de réserve se réunissait au camp de Dijon et se composait en grande partie de l’armée de Hollande, qui venait de pacifier la Vendée. De leur côté, les ennemis répondaient à ces préparatifs par des armements pareils. L’Autriche pressait l’organisation de ses levées, l’Angleterre prenait à sa solde un corps de douze mille Bavarois, et l’un de ses plus habiles agents recrutait pour elle dans la Souabe, dans la Franconie et dans l’Odenval; enfin, six mille Wurtembergeois, les régiments suisses et le corps noble d’émigrés, sous les ordres du prince de Condé, passaient du service de Paul Ier à la solde de Georges III. Toutes ces troupes étaient destinées à agir sur le Rhin. L’Autriche envoyait ses meilleurs soldats en Italie, car c’était là que l’intention des alliés était d’ouvrir la campagne.

Le 17 mars 1800, au milieu d’un travail sur l’institution des écoles diplomatiques fondées par M. de Talleyrand, Bonaparte se retourne tout à coup vers son secrétaire, et avec un sentiment de gaieté visible:
– Où croyez-vous que je battrai Mélas, lui demande-t-il?
– Je n’en sais rien, lui répond le secrétaire, étonné.
– Allez dérouler dans mon cabinet la grande carte d’Italie, et je vous le ferai voir.

Le secrétaire s’empresse d’obéir. Bonaparte se munit d’épingles à têtes de cire rouge et noire, se couche sur l’immense carte, pique son plan de campagne, place sur tous les points où l’ennemi l’attend ses épingles à tête noire, aligne ses épingles à tête rouge sur toute la ligne où il espère conduire ses troupes, puis il se retourne vers son secrétaire, qui l’a regardé faire en silence:
– Eh bien! lui dit-il.
– Eh bien, lui répond celui-ci, je n’en sais pas davantage.
– Vous êtes un nigaud. Regardez un peu. Mélas est à Alexandrie, où il a son quartier général; il y restera tant que Gênes ne sera pas rendue. Il a dans Alexandrie ses magasins, ses hôpitaux, son artillerie, ses réserves. Indiquant le Saint-Bernard: Je passe les Alpes ici, je tombe sur ses derrières avant qu’il ne se doute que je suis en Italie, je coupe ses communications avec l’Autriche, je le joins dans les plaines de la Scrivia. Plaçant une épingle rouge à San-Giuliano: Et je le bats ici.

C’était le plan de la bataille de Marengo que le Premier consul venait de tracer. Quatre mois après, il était accompli en tout point. Les Alpes étaient franchies, le quartier général était à San-Giuliano, Mélas était coupé, il ne restait plus qu’à le battre. Bonaparte venait d’écrire son nom à côté de ceux d’Annibal et de Karl le Grand. Le Premier consul avait dit vrai. Il avait roulé du sommet des Alpes comme une avalanche. Le 2 juin, il était devant Milan, où il entrait sans résistance et dont incontinent il bloquait le fort. Le même jour, Murat était envoyé à Plaisance, et Lannes à Montebello: tous deux allaient combattre, sans s’en douter encore, l’un pour une couronne, l’autre pour un duché.

Le lendemain de l’entrée de Bonaparte à Milan, un espion qui l’a servi dans ses premières campagnes d’Italie se fait annoncer. Le général le reconnaît au premier coup d’œil: il est au service des Autrichiens, Mélas l’envoie pour surveiller l’armée française; mais il veut en finir avec le métier dangereux qu’il exerce et demande mille louis pour trahir Mélas; en outre, il lui faut quelques renseignements exacts à rapporter à son général. «Qu’à cela ne tienne, dit le Premier consul, peu m’importe que l’on connaisse mes forces et ma position, pourvu que je connaisse les forces et la position de mon ennemi. Dis-moi quelque chose qui en vaille la peine, et les mille louis sont à toi.» Alors l’espion lui dit le nombre des corps, leur force, leur emplacement, les noms des généraux, leur valeur, leur caractère. Le Premier consul suit sa parole sur la carte, qu’il crible d’épingles. Au reste, Alexandrie n’est pas approvisionnée, Mélas est loin de s’attendre à un siège, il a beaucoup de malades et manque de médicaments. En échange, Berthier remet à l’espion une note à peu près exacte sur la situation de l’armée française. Le Premier consul voit clair dans la position de Mélas, comme si le génie des batailles l’avait fait planer au-dessus des plaines de la Scrivia.

Le 8 juin, dans la nuit, un courrier arrive de Plaisance. C’est Murat qui l’envoie. Il est porteur d’une lettre interceptée. La dépêche est de Mélas; elle est adressée au Conseil aulique de Vienne; elle annonce la capitulation de Gênes, qui a eu lieu le 4: après avoir mangé jusqu’aux selles de ses chevaux, Masséna a été forcé de se rendre. On réveille Bonaparte au milieu de la nuit, en vertu de son précepte: «Laissez-moi dormir pour les bonnes nouvelles, réveillez-moi pour les mauvaises.» «Bah, vous ne savez pas l’allemand», dit-il d’abord à son secrétaire. Puis, forcé de reconnaître que celui-ci a dit la vérité, il se lève, passe le reste de la nuit à donner des ordres et à envoyer des courriers, et à huit heures du matin, tout est prêt pour parer aux conséquences probables de cet événement inattendu. Le même jour, le quartier général est transporté à Stradella, où il reste jusqu’au 12 et où Desaix le rejoint le 11. Le 13, en marchant sur la Scrivia, le Premier consul traverse le champ de la bataille de Montebello et trouve les églises encore pleines de morts et de blessés.
– Diable, dit-il à Lannes, qui lui sert de cicérone, il paraît que l’affaire a été chaude.
– Je crois bien, répond celui-ci, les os craquaient dans ma division comme la grêle qui tombe sur les vitrages.

Enfin, le 13 au soir, le Premier consul arrive à Torre di Galifolo. Quoiqu’il soit tard et qu’il soit écrasé de fatigue, il ne veut point se mettre au lit tant qu’on ne se soit assuré si les Autrichiens ont un pont sur la Bormida. A une heure du matin, l’officier chargé de cette mission revient et répond qu’il n’en existe pas. Cet avis tranquillise le Premier consul. Il se fait rendre un dernier compte de la position des troupes et se couche, ne croyant pas à un engagement pour le lendemain. Nos troupes occupaient les positions suivantes:
La division Gardanne et la division Chambarlhac, formant le corps d’armée du général Victor, étaient campées à la cassine de Pedrabona, en avant de Marengo et à distance égale du village et de la rivière.
Le corps du général Lannes s’était porté en avant du village de San-Giuliano, à droite de la grande route de Tortonne, à six cents toises à peu près du village de Marengo.
La garde des consuls était placée en réserve derrière les troupes du général Lannes, à une distance de cinq cents toises environ.
La brigade de cavalerie, aux ordres du général Kellermann, et quelques escadrons de hussards et de chasseurs formaient la gauche et remplissaient sur la première ligne les intervalles des divisions Gardanne et Chambarlhac.
Une seconde brigade de cavalerie, commandée par le général Champeaux,  formait la droite et remplissait sur la seconde ligne les intervalles de l’infanterie du général Lannes.
Enfin, le 12e régiment de hussards et le 21e régiment de chasseurs, détachés par Murat, sous les ordres du général  Rivaud, occupaient le débouché de Sale, village situé à l’extrême droite de la position générale.

Tous ces corps, réunis et échelonnés obliquement, la gauche en avant, formaient un effectif de dix-huit ou dix-neuf mille hommes d’infanterie et de deux mille cinq cents chevaux, auxquels devaient se joindre dans la journée du lendemain les divisions Mounier et Boudet, qui, d’après les ordres du général Desaix, occupaient en arrière et à dix lieues à peu près de Marengo les villages d’Acqui et de Castelnuovo. De son côté, pendant la journée du 13, le général Mélas avait achevé de réunir les troupes des généraux Haddik, Kaim et Ott.

L’officier d’état-major ne s’était pas assez avancé: il y avait un pont sur la rivière. Bonaparte monte aussitôt à cheval et se rend en toute hâte sur le point où la bataille est engagée. Il y trouve l’ennemi formé sur trois colonnes: l’une, celle de gauche, composée de toute la cavalerie et de l’infanterie légère, se dirige vers Castel Ceriolo par le chemin de Sale, tandis que les colonnes du centre et de la droite, appuyées l’une à l’autre et composées des corps d’infanterie des généraux Haddik, Kaim, O’Reilly et de la réserve des grenadiers aux ordres du général Ott, s’avancent par la route de Tortonne et par le chemin de Fragarolo en remontant la Bormida. Aux premiers pas que ces deux colonnes avaient faits, elles étaient venues se heurter aux troupes du général Gardanne, postées, comme nous l’avons dit, à la ferme et sur le ravin de Pedrabona. C’était le bruit de la nombreuse artillerie qui marchait devant elles, et à la suite de laquelle elles déployaient des bataillons trois fois supérieurs en nombre à ceux qu’elles attaquaient, qui avait réveillé Bonaparte et qui attirait le lion sur le champ de bataille. Il arrivait au moment où la division Gardanne, écrasée, commençait à se replier, et où le général Victor faisait avancer à son secours la division Chambarliac. Protégées par ce mouvement, les troupes de Gardanne opérèrent leur retraite en bon ordre et vinrent couvrir le village de Marengo.

Alors les troupes autrichiennes cessèrent de marcher en colonnes et, profitant du terrain qui s’élargit devant elles, se déployèrent, en lignes parallèles, mais numériquement bien supérieures à celles des généraux Gardanne et Chambarliac. La première de ces lignes était commandée par le général Haddik, la seconde, par le général Mélas en personne, tandis que le corps de grenadiers du général Ott se formait un peu en arrière, à la droite du village de Castel Ceriolo. Un ravin, creusé comme un retranchement, formait un demi-cercle autour du village de Marengo. Le général Victor y établit en ligne les divisions Gardanne et Chambarlhac, qui vont être attaquées une seconde fois. Elles sont à peine rangées en bataille que Bonaparte leur fait donner l’ordre de défendre Marengo le plus longtemps possible. Le général en chef avait compris que la bataille devait porter le nom de ce village. Au bout d’un instant, l’action s’engage de nouveau sur tout le front de la ligne, des tirailleurs se fusillent de chaque côté du ravin, et le canon gronde, se renvoyant la mitraille à portée de pistolet. Protégé par cette artillerie terrible, l’ennemi, supérieur en nombre, n’a qu’à s’étendre pour nous déborder. Le général Rivaud, qui commande l’extrême droite de la brigade Gardanne, se porte alors en avant, place hors du village, sous le feu le plus ardent de l’ennemi, un bataillon en rase campagne et lui ordonne de se faire tuer sans reculer d’un pas.

C’est un point de mire pour l’artillerie autrichienne dont chaque boulet porte. Mais pendant ce temps, le général Rivaud forme sa cavalerie en colonne, tourne le bataillon protecteur, tombe sur trois mille Autrichiens qui s’avancent au pas de charge, les repousse et, tout blessé qu’il est par un biscaïen, les force, après les avoir mis en désordre, à aller se reformer derrière leur ligne; puis il vient se remettre en bataille à la droite du bataillon, qui est resté ferme comme une muraille. En ce moment, la division du général Gardanne, sur laquelle s’épuise depuis le matin tout le feu de l’ennemi, est rejetée dans Marengo, où la première ligne des Autrichiens la suit, tandis que la seconde ligne empêche la division Chambarliac et la brigade Rivaud de lui porter secours. D’ailleurs, repoussées elles-mêmes, elles sont bientôt forcées de battre en retraite de chaque côté du village. Derrière lui, elles se rejoignent. Aussitôt, Lannes, voyant les deux divisions du général Victor ralliées et prêtes à soutenir de nouveau le combat, s’étend sur la droite au moment où les Autrichiens vont nous déborder. Cette manœuvre le met en face des troupes du général Daim, qui viennent d’emporter Marengo. Les deux corps, l’un exalté par son commencement de victoire, l’autre tout frais de son repos, se heurtent avec rage, et le combat, un instant interrompu par la double manœuvre des deux armées, recommence sur toute la ligne, plus acharné que jamais.

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La bataille de Marengo, de Louis-François Lejeune (1802) © Palais de Versailles

Après une lutte d’une heure, pied à pied, baïonnette à baïonnette, le corps d’armée du général Kaim plie et recule. Le général Champeaux, à la tête du 1er et du 8e régiments de dragons, charge sur lui et augmente son désordre. Le général Watrin, avec le 6e léger, les 22e et 40e de ligne, se met à leur poursuite et les rejette à près de mille toises derrière le ruisseau de la Barbotta. Mais le mouvement qu’il vient de faire l’a séparé de son corps d’armée, les divisions du général Victor vont se trouver compromises par sa victoire même, et il est obligé de revenir prendre le poste qu’il a laissé un instant découvert. En ce moment, Kellermann faisait à l’aile gauche ce que Watrin venait de faire à l’aile droite. Deux de ses charges de cavalerie avaient percé à jour la ligne ennemie, mais après la première ligne, il en avait trouvé une seconde, et n’osant s’engager, à cause de la supériorité du nombre, il avait perdu le fruit de cette victoire momentanée. A midi, cette ligne, qui ondulait comme un serpent de flamme sur une longueur de près d’une lieue, fut enfoncée vers son centre, après avoir fait tout ce qu’il était humainement possible de faire, et se mit en retraite, non pas vaincue, mais foudroyée par le feu de l’artillerie et écrasée par le choc des masses. Le corps, en reculant, découvrait les ailes: les ailes furent donc forcées de suivre le mouvement rétrograde du centre, et le général Watrin, d’un côté, le général Kellermann, de l’autre, donnèrent l’ordre à leurs divisions de reculer. La retraite se fit aussitôt par échiquier, sous le feu de quatre-vingts pièces d’artillerie qui précédaient la marche des bataillons autrichiens. Pendant deux lieues, l’armée tout entière, sillonnée par les boulets, décimée par la mitraille, broyée par les obus, recula sans qu’un seul homme quittât son rang pour fuir, exécutant les divers mouvements commandés par le Premier consul avec la régularité et le sang-froid d’une parade.

En ce moment, la première colonne autrichienne, qui, ainsi que nous l’avons dit, s’était dirigée sur Castel Ceriolo et n’avait point encore donné, parut, débordant notre droite. C’eût été trop d’un pareil renfort, Bonaparte se décida à utiliser la garde consulaire, qu’il avait gardée en réserve avec deux régiments de grenadiers. Il la fit avancer à trois cents toises de l’extrême droite, lui ordonna de se former en carré et d’arrêter Elsnitz et sa colonne, «comme une redoute de granit». Le général Elsnitz fit alors la faute dans laquelle Bonaparte avait espéré qu’il tomberait. Au lieu de négliger ces neuf cents hommes, qui n’étaient pas à craindre sur les derrières d’une armée victorieuse, et de passer outre pour venir en aide aux généraux Mélas et Kaim, il s’acharna après ces quelques braves qui usaient toutes leurs cartouches presque à bout portant sans être entamés et qui, lorsqu’ils n’eurent plus de munitions, reçurent l’ennemi sur la pointe de leurs baïonnettes.

Cependant cette poignée d’hommes ne pouvait tenir longtemps ainsi, et Bonaparte allait leur faire donner l’ordre de suivre le mouvement rétrograde du reste de l’armée, lorsque l’une des divisions de Desaix, celle du général Mounier, apparut sur le derrière de la ligne française. Bonaparte frémit de joie: c’était la moitié de ce qu’il attendait. Aussitôt, il échange quelques paroles avec le général Dupont, chef de l’état-major. Le général Dupont s’élance au-devant d’elle, en prend le commandement, se trouve un instant enveloppé par la cavalerie du général Elsnitz, passe à travers ses rangs, va heurter d’une atteinte terrible la division du général Kaim qui commençait à entamer le général Lannes, pousse l’ennemi jusqu’au village de Castel Ceriolo, y jette l’une de ses brigades aux ordres du général Carra-Saint-Cyr, qui en débusque les chasseurs tyroliens et les chasseurs du loup, pris à l’improviste par cette brusque attaque, lui ordonne, au nom du Premier consul, de se faire tuer là avec tous ses hommes plutôt que de reculer, puis, dégageant au retour le bataillon de la garde consulaire et les deux régiments de grenadiers qui ont fait aux yeux de toute l’armée une si belle défense, il se joint au mouvement rétrograde qui continue de s’opérer avec le même ordre et la même précision.

Il était trois heures du soir. Des dix-neuf mille hommes qui avaient commencé à cinq heures du matin la bataille, il restait à peine, sur un rayon de deux lieues, huit mille hommes d’infanterie, mille chevaux et six pièces de canon en état de faire feu. Un quart de l’armée était hors de combat, et plus de l’autre quart, par le défaut de voitures, était occupé à transporter les blessés que Bonaparte avait donné l’ordre de ne pas abandonner. Tout reculait, à l’exception du général Carra-Saint-Cyr, qui, isolé dans le village de Castel Ceriolo, se trouvait déjà à plus d’une lieue du corps d’armée. Une demi-heure encore, et il était évident pour tous que la retraite allait se changer en déroute, lorsqu’un aide de camp envoyé au-devant de la division Desaix, sur laquelle repose à cette heure non seulement la fortune de la journée, mais les destinées de la France, arrive ventre à terre, annonçant que la tête de ses colonnes paraît à la hauteur de San-Giuliano. Bonaparte se retourne, aperçoit la poussière qui annonce son arrivée, jette un dernier coup d’œil sur toute la ligne et crie: «Halte!» Le mot électrique court sur le front de bataille: tout s’arrête. En ce moment, Desaix arrive, devançant d’un quart d’heure sa division. Bonaparte lui montre la plaine jonchée de morts et lui demande ce qu’il pense de la bataille. Desaix embrasse tout d’un coup d’œil: «Je pense qu’elle est perdue, dit-il. Puis tirant sa montre: Mais il n’est que trois heures, et nous avons encore le temps d’en gagner une autre.»
– C’est mon avis, répondit laconiquement Bonaparte, et j’ai manœuvré pour cela.

En effet, ici va commencer le second acte de la journée, ou plutôt la seconde bataille de Marengo, comme Desaix l’a appelée. Bonaparte passe sur le front de la ligne, qui a pivoté en arrière et qui s’étend maintenant de San-Giuliano à Castel Ceriolo. «Camarades, s’écrie-t-il, au milieu des boulets qui soulèvent la terre sous les jambes de son cheval, c’est avoir trop fait de pas en arrière, le moment est venu de marcher en avant. Souvenez-vous que mon habitude est de coucher sur le champ de bataille.» Les cris de «Vive Bonaparte! Vive le Premier consul!» s’élèvent de tous côtés et s’éteignent dans le bruit des tambours qui battent la charge. Les différents corps d’armée étaient alors échelonnés dans l’ordre suivant:
Le général Carra-Saint-Cyr occupait toujours, malgré les efforts que l’ennemi avait faits pour le reprendre, le village de Castel Ceriolo, pivot de toute l’armée;
Après lui venait la seconde brigade de la division Mounier, et les grenadiers et la garde consulaire, qui, pendant deux heures, avaient tenu seuls contre le corps d’armée tout entier du général Elsnitz;
puis les deux divisions de Lannes; puis la division Boudet, qui n’avait pas encore combattu et à la tête de laquelle se trouvait le général Desaix, qui disait en riant qu’il lui arriverait malheur, les boulets autrichiens ne le connaissant plus depuis deux ans qu’il était en Egypte;
enfin, les deux divisions Gardanne et Chambarlhac, les plus maltraitées de toute la journée et dont il restait à peine quinze cents hommes.

Toutes ces divisions étaient placées diagonalement en arrière les unes des autres. La cavalerie se tenait sur la seconde ligne, prête à charger entre les intervalles des corps; la brigade du général Champeaux s’appuyait à la route de Tortonne; celle du général Kellermann était au centre, entre le corps de Lannes et la division Boudet. Les Autrichiens, qui n’ont pas vu les renforts qui nous sont arrivés et qui croient la journée à eux, continuent d’avancer en bon ordre. Une colonne de cinq mille grenadiers, commandée par le général Zach, débouche par la grande route et marche au pas de charge sur la division Boudet, qui couvre San-Giuliano. Bonaparte fait mettre en batterie quinze pièces de canon qui viennent d’arriver et que masque la division Boudet. Puis, par un même cri poussé sur une étendue d’une lieue, il ordonne à toute la ligne de marcher en avant. C’est l’ordre général; voici les ordres particuliers: 
Carra-Saint-Cyr quittera le village de Castel Ceriolo, renversera ce qui voudra s’opposer à lui et s’emparera des ponts sur la Bormida pour couper la retraite aux Autrichiens; le général Marmont démasquera l’artillerie lorsqu’on ne sera plus qu’à portée de pistolet de l’ennemi; Kellermann, avec sa grosse cavalerie, fera dans la ligne opposée une de ces trouées qu’il sait si bien faire; Desaix, avec ses troupes fraîches, anéantira la colonne de grenadiers du général Zach; enfin, Champeaux, avec sa cavalerie légère, donnera aussitôt que les prétendus vainqueurs battront en retraite.

Les ordres sont suivis aussitôt que donnés. Nos troupes, d’un seul mouvement, ont repris l’offensive. Sur toute la ligne, la fusillade éclate, et le canon gronde. Le terrible pas de charge se fait entendre, accompagné de La Marseillaise.  Chaque chef parvenu sur le revers du défilé est prêt à entrer en plaine. La batterie démasquée par Marmont vomit le feu. Kellermann s’élance avec ses cuirassiers et traverse les deux lignes. Desaix saute les fossés, franchit les haies, arrive sur une petite éminence et tombe au moment où il se retourne pour voir si sa division le suit. Sa mort, au lieu de diminuer l’ardeur de ses soldats, la double. Le général Boudet le remplace, s’élance sur la colonne de grenadiers, qui le reçoit à la baïonnette. En ce moment, Kellermann, qui, comme nous l’avons dit, a déjà traversé les deux lignes, se retourne, voit la division Boudet aux prises avec cette masse immobile qu’elle ne peut faire reculer, la charge en flanc, pénètre dans son intervalle, l’ouvre, l’écartèle, la brise. En moins d’une demi-heure, les cinq mille grenadiers sont enfoncés, culbutés, dispersés; ils disparaissent comme une fumée, foudroyés, anéantis. Le général Zach et son état-major sont faits prisonniers, c’est tout ce qu’il en reste.

Alors l’ennemi, à son tour, veut faire donner son immense cavalerie; mais le feu continuel de la mousqueterie, la mitraille dévorante et la terrible baïonnette l’arrêtent court. Murat manœuvre sur ses flancs avec deux pièces d’artillerie légère et un obusier qui lui envoient la mort en courant. En ce moment, un caisson saute dans les rangs autrichiens et augmente le désordre. C’est ce qu’attend le général Champeaux avec sa cavalerie: il s’élance, cache son petit nombre par une manœuvre habile et pénètre au plus profond des ennemis. Les divisions Gardanne et Chambarliac, qui ont la retraite de toute la journée sur le cœur, tombent sur eux avec toute l’ardeur de la vengeance. Lannes se met à la tête de ses deux corps d’armée et les devance en criant «Montebello! Montebello!» Bonaparte est partout. Alors tout plie, tout recule, tout se débande. Les généraux autrichiens veulent vainement soutenir la retraite, la retraite se change en déroute, les divisions françaises franchissent en une demi-heure la plaine qu’elles ont défendue pied à pied pendant quatre heures. L’ennemi ne s’arrête qu’à Marengo, où il se reforme sous le feu des tirailleurs que le général Carra-Saint-Cyr a jetés depuis Castel Ceriolo jusqu’au ruisseau de la Barbotta. Mais la division Boudet, les divisions Gardanne et Chambarlhac le poursuivent à son tour de rue en rue, de place en place, de maison en maison: Marengo est emporté. Les Autrichiens se retirent vers la position de Pedrabona, où ils sont attaqués, d’un côté par les trois divisions acharnées après eux, et de l’autre par la demi-brigade de Carra-Saint-Cyr. A neuf heures du soir, la Pedrabona est emportée, et les divisions Gardanne et Chambarlhac ont repris leur poste du matin. L’ennemi se précipite vers les ponts pour passer la Bormida; il y trouve Carra-Saint-Cyr qui l’y a précédé. Alors il cherche des gués, traverse la rivière sous le feu de toute notre ligne, qui ne s’éteint qu’à dix heures du soir. Les débris de l’armée autrichienne regagnent leur camp d’Alexandrie, l’armée française bivouaque devant les retranchements de la tête du pont.

La journée avait coûté aux Autrichiens: quatre mille cinq cents morts, huit mille blessés, sept mille prisonniers, douze drapeaux et trente pièces d’artillerie. Jamais peut-être la fortune ne s’était montrée dans la même journée sous deux faces si diverses: à deux heures de l’après-midi, c’était une défaite et ses désastreuses conséquences; à cinq heures, c’était la victoire redevenue fidèle au drapeau d’Arcole et de Lodi; à dix heures, c’était l’Italie reconquise d’un seul coup, et le trône de France en perspective. Le lendemain matin, le prince de Liechtenstein se présenta aux avant-postes: il apportait au Premier consul les propositions du général Mélas. Elles ne convenaient pas à Bonaparte, qui lui dicta les siennes, qu’il remporta en échange. L’armée du général Mélas devait sortir libre et avec les honneurs de la guerre d’Alexandrie, mais aux conditions que tout le monde connaît et qui remettaient l’Italie tout entière sous la domination française. Le prince de Liechtenstein revint le soir. Les conditions avaient paru dures à Mélas, qui, à trois heures, regardant la journée comme gagnée, avait abandonné le reste de notre défaite aux généraux et était revenu se reposer à Alexandrie. Mais aux premières observations que fit l’envoyé, Bonaparte l’interrompit.
– Monsieur, lui dit-il, je vous ai dit mes dernières volontés, portez-les à votre général, et revenez promptement, car elles sont irrévocables. Songez que je connais votre condition aussi bien que vous. Je ne fais pas la guerre depuis hier; vous êtes bloqués dans Alexandrie, vous avez beaucoup de blessés et des malades, vous manquez de vivres et de médicaments, j’occupe tous vos derrières, vous avez perdu, en tués ou en blessés, l’élite de votre armée. Je pourrais exiger davantage, et ma position m’y autorise; mais je modère mes prétentions par respect pour les cheveux blancs de votre général.
– Ces conditions sont dures, Monsieur, répondit le prince, surtout celle de rendre Gênes, qui a succombé il y a quinze jours à peine, après un si long siège.
– Que ce ne soit pas cela qui vous inquiète, reprit le Premier consul en montrant au prince la lettre interceptée, votre empereur n’a pas su la prise de Gênes, et il n’y aura qu’à ne pas la lui dire.

Le même soir, toutes les conditions imposées par le Premier consul étaient accordées, et Bonaparte écrivait à ses collègues: «Le lendemain de la bataille de Marengo, citoyens consuls, le général Mélas a fait demander aux avant-postes qu’il lui fût permis de m’envoyer le général Skal: on a arrêté dans la journée la convention que vous trouverez ci-jointe. Elle a été signée dans la nuit par le général Berthier et le général Mélas. J’espère que le peuple français sera content de son armée. Bonaparte.» Ainsi se trouva accomplie la prédiction que le Premier consul avait faite à son secrétaire, quatre mois auparavant, dans le cabinet des Tuileries. Bonaparte revint à Milan, où il trouva la ville illuminée et dans la joie la plus vive. Masséna, qu’il n’avait pas vu depuis la campagne d’Egypte, l’y attendait et reçut le commandement de l’armée d’Italie, en récompense de sa belle défense de Gênes. Le Premier consul revint à Paris au milieu des acclamations des peuples. Son entrée dans la capitale eut lieu le soir. Mais lorsque, le lendemain, les Parisiens apprirent son retour, ils se portèrent en masse aux Tuileries avec de tels cris et un si grand enthousiasme que le jeune vainqueur de Marengo fut forcé de se montrer sur le balcon.

Quelques jours après, une nouvelle affreuse vint attrister la joie publique. Kléber était tombé au Caire sous le poignard de Suleyman-al-Halabi, le même jour où Desaix tombait dans les plaines de Marengo sous les balles des Autrichiens. La convention signée par Berthier et le général Mélas, dans la nuit qui suivit la bataille, avait amené un armistice conclu le 5 juillet, rompu le 5 septembre et renouvelé après le gain de la bataille de Hohenlinden. Pendant ce temps, les conspirations marchaient. Cerrachi, Aréna, Topino-Lebrun et Demerville avaient été arrêtés à l’Opéra, où ils s’approchaient du Premier consul pour l’assassiner. La machine infernale avait éclaté, rue Saint-Nicaise, vingt-cinq pas derrière sa voiture, et Louis XVIII écrivait à Bonaparte lettres sur lettres pour qu’il lui rendît son trône. Enfin, le 9 février 1801, le traité de Lunéville fut signé; il rappelait toutes les clauses du traité de Campo-Formio, cédait de nouveau à la France tous les Etats situés sur la rive gauche du Rhin, indiquait l’Adige comme la limite des possessions autrichiennes, forçait l’empereur d’Autriche à reconnaître les Républiques cisalpine, batave et helvétique, et enfin, abandonnait la Toscane à la France.

La République était en paix avec le monde entier, excepté avec l’Angleterre, sa vieille et éternelle ennemie. Bonaparte résolut de la lui imposer par une grande démonstration. Un camp de deux cent mille hommes fut réuni à Boulogne, et une immense quantité de bateaux plats destinés à transporter cette armée furent rassemblés dans tous les ports du nord de la France. L’Angleterre s’effraya, et, le 25 mars 1802, le traité d’Amiens fut signé. Pendant ce temps, le Premier consul marchait insensiblement vers le trône, et Bonaparte se faisait peu à peu Napoléon. Le 15 juillet 1801, il signait un concordat avec le pape; le 21 janvier 1802, il acceptait le titre de président de la République cisalpine; le 2 août suivant, il était nommé consul à vie; le 21 mars 1804, il faisait fusiller le duc d’Enghien dans les fossés de Vincennes. Ce dernier gage donné à la Révolution, cette grande question fut posée à la France: «Napoléon sera-t-il empereur des Français?» Cinq millions de signatures répondirent affirmativement, et Napoléon monta sur le trône de Louis XVI. Cependant trois hommes protestaient au nom des lettres, cette éternelle République qui n’a pas de Césars et ne reconnaît pas de Napoléons. Ces hommes étaient Lemercier, Ducis et Châteaubriand.