Comment en est-on arrivé à ce désastre? L’une des causes de la campagne de Russie réside, selon Alexandre Dumas, dans la violation du blocus continental imposé par Napoléon. Dumas cite l’Empereur: «Soldats, la Russie a juré éternelle alliance à la France et guerre à l’Angleterre, elle viole aujourd’hui ses serments; elle ne veut donner aucune explication de son étrange conduite que les aigles françaises n’aient repassé le Rhin, laissant par-là nos alliés à sa discrétion. Nous croit-elle donc dégénérés, ne serions-nous plus les soldats d’Austerlitz? Elle nous place entre le déshonneur et la guerre, le choix ne saurait être douteux. Marchons en avant, passons le Niémen, portons la guerre sur le territoire de la Russie: elle sera glorieuse aux armées françaises. La paix que nous conclurons mettra un terme à la funeste influence que le cabinet moscovite exerce depuis cinquante ans sur les affaires de l’Europe.» Les autres causes ne sont pas mentionnées par Dumas. Toutefois, nous les présentons brièvement ci-dessous.
L’alliance conclue en 1807 entre Napoléon Iᵉʳ et le tsar Alexandre Iᵉʳ (1777-1825) était battue en brèche de toutes parts. En effet, la perfide Albion porte d’importants coups de boutoir à l’entente plutôt surprenante existant entre un empereur français issu de la Révolution et faisant tabula rasa du passé et un souverain russe garant de la légitimité en Europe. Il faut dire qu’il existait un respect mutuel entre les deux souverains depuis qu’Alexandre Iᵉʳ s’était entretenu avec le Corse à la fin juin 1807: le Russe avait été impressionné par le nouveau César français qui remodelait l’Europe selon ses ambitions. Mais l’Angleterre, cherchant à rompre à tout prix ce charme maléfique, voulait ramener la Russie dans son combat antifrançais: ainsi, elle exerce des pressions tant sur les membres de la cour russe qu’auprès des marchands qui voyaient les échanges à destination de l’Angleterre (céréales, fourrures, métaux précieux, bois) interdits à la suite de l’instauration du système continental. Alexandre Iᵉʳ voyait également d’autres menaces planer sur son Empire: le trône de la Suède était revenu au général français Bernadotte; le mariage de Napoléon Iᵉʳ avec Marie-Louise, fille de l’Empereur, semblait neutraliser momentanément l’Autriche; la mainmise française sur les ports allemands de la Mer baltique ne pouvait qu’être défavorable au commerce russe; la question du partage de l’Empire ottoman n’était pas réglée; et, pour terminer, la résurrection de la Pologne par Napoléon Iᵉʳ constituait une provocation, si ce n’était un danger, sur le flanc occidental russe. C’en était trop pour Alexandre Iᵉʳ. En juin 1812, la guerre éclate. Une sixième coalition, composée de l’Angleterre et de la Russie, à laquelle s’était jointe la Suède du roi félon, est constituée. Napoléon rassemble une armée comprise entre 600’000 et 700’000 soldats: un nombre considérable pour l’époque. Mais l’aspect quantitatif doit être nuancé: la Grande Armée ne compte que 300’000 Français. L’autre moitié est un ensemble hétéroclite de soldats issus des régions d’Europe placées de force dans l’orbite impériale. «Ces troupes, explique l’historien Georges Lefebvre, étaient à l’image du Grand Empire: on y comptait 300’000 Français, annexés compris; 180’000 Allemands, dont 30’000 Autrichiens de Schwarzenberg et les 20’000 Prussiens d’York; 9’000 Suisses; 90’000 Polonais et Lithuaniens; 32’000 Italiens, Illyriens, Espagnols et Portugais. La valeur et la fidélité de ces contingents se révélèrent extrêmement inégales».