Les triumvirs se livrent à un nouveau partage du monde romain: Octavien s’octroie l’Occident (Gaule, Hispanie et provinces occidentales), Marc Antoine l’Orient et Lépide l’Afrique. L’un des fils de Pompée, Sextus, leur résiste encore. Ce républicain a réussi à consolider son assise en Sicile, en Sardaigne et en Corse; il menace l’approvisionnement de Rome en blé. En 38 av. J.-C., Octavien répudie Scribonia, son épouse, qui n’était autre que la belle-sœur de Sextus. Le fils adoptif de Jules César décide alors d’attaquer les forces de Sextus massées en Sicile; Agrippa, l’ami d’Octavien, les réduit à néant à Nauloque en 36 av. J.-C. En raison de sa non-intervention dans le combat, Lépide, à qui avait été attribuée l’Afrique, est écarté du triumvirat. Il ne conserve désormais plus que le titre de pontifex maximus. Les tensions s’accroissent désormais dangereusement entre Octavien et Marc Antoine. Ce dernier réclame un partage équitable des provinces de Lépide et l’envoi de deux légions pour combattre les Parthes.
Octavien, appuyé par le sénat, n’entre en matière pour aucune des demandes. Les sénateurs redoutent particulièrement l’influence qu’exerce Cléopâtre VII, la reine d’Egypte, sur Marc Antoine qui a tendance à se comporter en despote oriental. Comme l’indique Jean-Marie André, Plutarque a montré Marc Antoine «découvrant les richesses et délices de l’Orient, courtisé par les reines et les princesses. Le biographe l’a peint sans faiblesse, avide de satisfaction sensuelle, vulnérable à la flatterie, cherchant le repos du guerrier.»
Ah ! Cléopâtre…
Alain Chardonnens, historien et enseignant-formateur à l'Université de Fribourg
Nous avons dit qu’Antoine avait envoyé un messager à Cléopâtre pour lui donner l’ordre de venir lui rendre compte de sa conduite à Tarse. Ce messager se nommait Dellius. C’était un homme habile. Il n’eut pas encore vu Cléopâtre, il n’eut pas encore causé avec elle, qu’il comprit qu’avant de combattre, Antoine était vaincu. Dellius résolut de se faire l’ami de la reine d’Egypte. Il la pria de se rendre aux ordres d’Antoine. Mais, ouvrant l’Iliade, il lut à Cléopâtre, dans cette belle langue grecque qui était sa langue maternelle - d’ailleurs Cléopâtre parlait sept ou huit langues -, il lut à Cléopâtre les vers du XIVe chant, où Junon, s’apprêtant à endormir Jupiter sur le mont Ida, va emprunter sa ceinture à Vénus. Cléopâtre comprit le conseil et le reçut avec un sourire. Elle avait fait l’essai de sa beauté déjà sur César et sur un fils de Pompée. Quelques-uns disaient même sur les deux. Elle connaissait Antoine, ses instincts brutaux, ses passions sensuelles; elle avait vingt-huit ans, c’est-à-dire l’âge où la beauté de la femme est dans tout son éclat, son esprit dans toute sa force; elle prit avec elle de riches présents, des sommes d’argent immenses; elle prit avec elle surtout sa beauté contestable, mais sa grâce incontestée. Les ordres d’Antoine étaient précis, elle devait venir sans perdre une minute. Elle se moqua des ordres d’Antoine. Ses amis lui disaient
- Hâtez-vous; vous vous perdez en restant.
Et elle restait. On eût dit la magicienne Circé, sûre du pouvoir de son art. Il lui fallait le temps de faire son spectacle, de préparer sa mise en scène, comme on dirait de nos jours.