En 1817, on croit avoir découvert les ossements de la reine Berthe à Payerne. Ils reposent dans le temple sous une dalle de marbre où fut gravée une épitaphe. Pour Alexandre Dumas, c’est un high-light incontournable. Comment expliquer la ferveur existant autour de squelette?
La reine Berthe, dans l’imaginaire collectif vaudois, venait au secours des démunis et était un modèle de vertu pour les jeunes filles. Au début du XIXe siècle, la reine Berthe est devenue le symbole du tout nouveau canton de Vaud qui se voulait humain, pacifique et industrieux. Le mythe de Berthe, reine pieuse et modeste, sillonnant son royaume une quenouille de laine à la main relève du mythe, attesté dès le XVIIe siècle.
L’historienne Marianne Rumpf a démontré en 1977 que ce récit découle du folklore celte ou germanique, De plus, Hans Eberhard Meyer a prouvé en 1977 que Berthe n’était pas la fondatrice de l’abbatiale de Payerne, mais que c’était les moines de cette ville qui auraient fabriqué de faux documents au début du XIIe siècle.
Lors de sa visite à Avenches, Dumas pouvait-il s’imaginer qu’il avait devant lui les rares vestiges d’un sanctuaire aux dimensions imposantes (107×77 m)? Il s’agissait certainement d’un lieu de culte consacré aux divinités gallo-romaines (Mars Caturix, dieu celte de la guerre) et à l’empereur. L’empereur Vespasien a entretenu des liens particuliers avec Aventicum.
Son père et lui y ont vécu. On a retrouvé une inscription funéraire de Pompeia Gemella, la probable nourrice de l’empereur qui régna entre 79 et 81 après J.-C. Il octroie le statut privilégié à Aventicum qui devient la Colonia Pia Flavia Constans Emerita Helvetiorum Foederata. C’est à ce moment que débute le grand chantier de la construction des remparts.
Du XVIe au XIXe siècle, la ville d’Avenches était notamment connue pour l’inscription dédiée à Julia Alpinula. Selon la légende, cette jeune prêtresse voit son père, Julius Alpinus, condamné à mort en l’an 69 de notre ère. Julia se jette au pied du général qui a décrété cette sentence. L’officier demeure inflexible: le père est décapité et la fille meurt de chagrin. Cette histoire inspire de nombreux poèmes des XVIIe et XVIIIe siècles. Cette fin tragique émeut Lord Byron et Victor Hugo.
Et pourtant, cette histoire a été inventée de toutes pièces. Cette inscription est l’oeuvre d’un faussaire, Paul Mérula. Cet érudit du XVIe siècle a composé cette épitaphe pour montrer à ses pairs combien il était versé dans les sciences historiques. Les historiens J.C. Orelli (en 1828) et Theodor Mommsen (en 1893) classent cette épitaphe parmi les faux en raison des tournures latines utilisées lors de la Renaissance.
Cela n’a pas empêché que Julia demeure une héroïne dans le coeur des Avenchois et des Vaudois de la fin du XIXe siècle, puisque la pièce de théâtre Julia Alpinula a été jouée dans les arènes par près de deux-cents acteurs en 1893, explique Marie-France Meylan, directrice des Sites et Musée romains d’Avenches dans la revue d’histoire Passé Simple de mai 2015.
Un siècle plus tard, qui se souvient encore de Julia? Alexandre Dumas la fait revivre.
Alain Chardonnens, historien, enseignant et formateur à Fribourg