En 1832, Alexandre Dumas visite les villes du plateau suisse. Sous sa plume, Fribourg devient un château gothique et mystérieux, une citadelle catholique perchée sur son éperon rocheux, «une ville fantastique», «bâtie pour la guerre», «enceinte de remparts», bordée par «la Sarine aux eaux grises». L’influence du romantisme est particulièrement perceptible. Ainsi, le voyageur écrit: «Nous passâmes pour nous y rendre près du tilleul de Morat, dont j’appris alors l’histoire; puis nous descendîmes une rue de cent vingt marches, qui nous conduisit à un pont jeté sur la Sarine. C’est du milieu de ce pont qu’il faut se retourner, regarder Fribourg s’élevant en amphithéâtre comme une ville fantastique: on reconnaîtra bien alors la cité gothique, bâtie pour la guerre, et posée à la cime d’une montagne escarpée comme l’aire d’un oiseau de proie; on verra quel parti le génie militaire a tiré d’une localité qui semblait bien plutôt destinée à servir de retraite à des chamois que de demeure à des hommes, et comment une ceinture de rochers a formé une enceinte de remparts.» L’auteur ajoute: «A gauche de la ville, et comme une chevelure rejetée en arrière, s’élève une forêt de vieux sapins noirs poussant dans les fentes des rochers, d’où sort, comme un large ruban chargé de la maintenir, la Sarine aux eaux grises, qui serpente un instant dans la vallée, et disparaît au premier détour.» Même la mentalité des habitants est médiévale!
L’ermitage de la Madeleine est décrit comme étant un souterrain inquiétant, un labyrinthe obscur dans lequel vivent une sorcière et son fils idiot: il s’agit d’une «église souterraine, qui rappelle les catacombes où les chrétiens célèbrent leurs premiers mystères, se remplit de la population des villages voisins […] Ce clocher bizarre, dont la modeste prétention, tout opposée à celle de ses confrères, n’a jamais été de s’élever au-dessus du niveau de la terre, mais seulement d’arriver jusqu’à sa surface, ressemble d’en haut à un puits, et d’en bas à une cheminée; sa cloche est suspendue, au milieu des arbres qui couronnent le sommet de la montagne, à quatre ou cinq pieds au-dessus du sol, et le tuyau du clocher par lequel on la met en branle a soixante-dix pieds de long.» La cité de Fribourg est perçue comme un monde angoissant, tortueux et sombre, typique des écrits romantiques. Mais Dumas a-t-il eu le temps de visiter tous les lieux qu’il décrit ou se contente-t-il encore une fois de paraphraser les propos de son guide de voyage Ebel?
Alain Chardonnens, historien, enseignant et formateur à Fribourg.