Fuyant l’épidémie de choléra, Alexandre Dumas quitte Paris en mai 1832 pour se rendre en Suisse. De ce séjour, il rédigera ses célèbres Impressions de voyage en Suisse. Après Genève, Lausanne et Martigny, Alexandre Dumas arrive à Chamonix. Il y rencontre Jacques Balmat, «un vieillard de soixante-dix ans», ancien chasseur de chamois et guide, qui a été le premier à arriver au sommet du mont Blanc, point culminant de la chaîne des Alpes. A la manière d’un journaliste, Alexandre Dumas prend des notes de la conversation et livre un superbe récit au lecteur.
Le 8 août 1786, Jacques Balmat et le docteur Michel Paccard partent en fin d’après-midi dans l’espoir de parvenir au sommet du mont Blanc. Le duo s’endort vers 22 heures sur la crête de la Côte, situé entre le glacier des Bossons et celui de Taconnaz.
Le 9 août, au petit matin, le guide et le médecin gravissent le glacier de Taconnaz, des Grands Mulets, puis du Petit Mulet. Au milieu de la matinée, vers 10 heures, les deux hommes se trouvent sur le dôme du Goûter et saluent avec le chapeau de Jacques Balmat les habitants de la vallée à Chamonix. Au milieu de l’après-midi, Balmat arrive seul au sommet. En effet, le docteur Paccard est exténué: «Cependant, Paccard avait usé toute son énergie à se remettre sur ses pieds, et ni les encouragements que nous recevions ni ceux que je lui donnais ne pouvaient le déterminer à continuer son ascension. Après que j’eus épuisé toute mon éloquence et que je vis que je perdais mon temps, je lui dis de se tenir le plus chaudement possible et de se donner du mouvement; il m’écoutait sans m’entendre et répondait oui, oui, pour se débarrasser de moi. Je comprenais qu’il devait souffrir du froid. J’étais moi-même tout engourdi. Je lui laissai la bouteille, et je partis seul, en lui disant que je reviendrais le chercher.» Puis Jacques Balmat redescend chercher Michel Paccard et l’aide à poursuivre son ascension. A 18 heures environ, tous les deux accèdent enfin au sommet et y restent durant une demi-heure. Le guide explique ce qu’il voyait: «A notre gauche, s’étendait la Suisse des montagnes, toute moutonneuse, et, au-delà, la Suisse des prairies, qui semblait un riche tapis vert; à notre droite, tout le Piémont et la Lombardie jusqu’à Gênes; en face, l’Italie. Paccard ne voyait rien, je lui racontais tout; quant à moi, je ne souffrais plus, je n’étais plus fatigué; à peine si je sentais cette difficulté de respirer qui, une heure auparavant, avait failli me faire renoncer à mon entreprise. Nous restâmes ainsi trente-trois minutes.» Ils commencent alors à redescendre. Vers minuit, ils sortent des glaces et vont enfin pouvoir dormir. Mais le docteur est frigorifié: «A onze heures, nous sortîmes enfin des régions des glaces et mîmes le pied sur la terre ferme; il y avait déjà une heure que nous avions perdu toute réverbération du soleil; alors je permis à Paccard de s’arrêter, et je me préparai à l’envelopper de nouveau dans la couverture, lorsque je m’aperçus qu’il ne s’aidait plus de ses mains. Je lui en fis l’observation. Il me répondit que cela se pouvait bien, vu qu’il ne les sentait pas. Je tirai ses gants, ses mains étaient blanches et comme mortes; moi-même, j’étais bête de la main où j’avais mis son petit gant de peau à la place du mien. Je lui dis que nous avions trois mains de gelées à nous deux; cela paraissait lui être fort égal; il ne demandait qu’à se coucher et à dormir.Je lui dis que nous avions trois mains de gelées à nous deux; cela paraissait lui être fort égal; il ne demandait qu’à se coucher et à dormir. Quant à moi, il me dit de me frotter la partie malade avec la neige. Le remède n’était pas loin. Je commençai l’opération par lui, et je la terminai par moi. Bientôt le sang revint, et avec le sang la chaleur, mais avec des douleurs aussi aiguës que si on nous avait piqué chaque veine avec des aiguilles. Je roulai mon poupard dans sa couverture, je le couchai à l’abri d’un rocher, nous mangeâmes un morceau, bûmes un coup, nous nous serrâmes l’un contre l’autre le plus que nous pûmes, et nous nous endormîmes.»