«Nous affronterons avec ardeur les épreuves les plus
ardues, déjà commencées pour nous; nous serons disciplinés et
soumis au règlement dans l’exécution desquels vous me trouverez
inflexible, et le jour de la bataille nous ne souffrirons pas que les
braves soient plus braves que nous.» Ces propos tenus par le général Trochu aux premières heures de la guerre auguraient de ce qui
attendait la troupe en Italie: on leur demandait de vaincre ou de
mourir… et c’était, tous soldats confondus, ce qu’il
adviendrait des dizaines de milliers d’hommes que la France, le
Piémont-Sardaigne et l’Autriche avaient engagés
dans le conflit. Et
Trochu de préciser que la victoire suppose également le respect de
l’adversaire et des populations civiles: «De cette manière,
dit-il, nos efforts seront
honorables et Dieu
les bénira.»
– Honorables!
Henry Dunant répète ce mot dont il conteste aussitôt l’usage: non, la guerre n’est pas honorable quoi qu’on en dise. Et Dieu ne la cautionne pas, même si les Pères de l’Eglise en justifiaient parfois l’usage.
La guerre… Tel est aujourd’hui, pour l’ermite de Heiden, le dernier obstacle à la plénitude de ses vieux jours. Car, contrairement à ce que l’on pensait volontiers à l’époque de la campagne d’Italie, à savoir qu’en abrégeant une existence on ne faisait que la soustraire à des destinées malheureuses, Dunant juge désormais qu’elle fait seulement le malheur de l’homme et qu’il faut à tout prix l’éradiquer de la conscience de l’humanité. Cependant, en ce 24 juin 1859, le but du colon genevois était de rencontrer Napoléon III pour lui remettre en main propre, et son mémorandum sur les difficultés de la Société des Moulins de Mons-Djemila (tentative coloniale soldée par un échec financier)… et l’éloge qu’il avait spécialement rédigé à son intention.
Le lendemain, Dunant était encore en chemin, à travers collines et marécages, lorsqu’il croisa les premières colonnes de blessés revenant de Solferino. Contrairement à ce que le général Beaufort lui avait conseillé, il n’avait pas assisté à la bataille, comme les civils avaient coutume de le faire du haut des belvédères qui environnent le théâtre des opérations. Le canon, qu’il avait entendu tonner durant toute la journée de la veille, avait certes conduit ses pas vers l’empereur, mais lorsqu’il était arrivé sur les lieux la cause était entendue: les Autrichiens avaient reculé de leurs positions et les alliés s’étaient emparé de la tour symbolique de Solferino. Quatre villages et tout le sud du lac de Garde avaient été mis à feu et à sang, si bien que les routes environnantes n’étaient plus qu’une longue procession de plaintes et de gémissements.
– Le soleil du 25 juin éclaira l’un des spectacles les plus affreux qui se puisse présenter à l’imagination!
Dans le regard d’Henry Dunant défile à cet instant la terrible cohorte des soldats aux corps meurtris par les balles de l’ennemi, et l’âme à jamais déchirée par le spectacle de la tuerie à laquelle ils venaient de participer [...] Longtemps, de part et d’autre, ils attendirent les ordres pour partir à l’assaut d’une ligne qui s’étalait sur seize kilomètres, entre San Martino et Medole. Au centre de ce front se trouvait la colline de Solferino flanquée de la Spia d’Italia, une tour carrée du XIIe siècle, haute de vingt-trois mètres, juchée sur une colline au-dessus du village, et de laquelle on dominait toute la plaine. S’en emparer prenait des allures de victoire et c’est en direction de cet amer que convergèrent l’essentiel des troupes. Lorsque à 16 heures un orage éclata.