Sept.info | Les premières heures de la Convention de Genève (3/4)

Les premières heures de la Convention de Genève (3/4)

© CICR
Près de dix ans après Solferino, la guerre franco-prussienne change la Chapelle lausannoise des Terreaux en un hôpital de fortune pour les soldats français blessés. Entre-temps, Henry Dunant aura sué sang et eau pour graver la Croix-Rouge dans la loi internationale.

26 octobre 1863. Genève est électrique. Plus de seize nations y sont prêtes à sauter le pas de la Convention. Certaines ne croient pas au miracle, d’autres tracent un sillon révolutionnaire d’humanité. En pleine genèse d’un emblème neutre et salvateur, le pacifisme a encore de la route à faire…

Si l’histoire de la Croix-Rouge s’est matérialisée à Genève, c’est parce que les membres du «Comité des cinq» en étaient en quelque sorte la quintessence et le symbole. Nourris par les thèses de la Réforme, qui font harmonieusement coexister les milieux d’affaires et le piétisme, Moynier, Dufour, Maunoir et Appia représentaient tous les ingrédients nécessaires à la concrétisation du double rêve de Dunant: celui d’acquitter sa conscience de toute ambition matérialiste. Calvin ne disait-il pas que «le Seigneur ne requiert pas que nous ayons quelque conscience… mais bonne conscience»? Or ces hommes-là étaient tout désignés pour faire de Genève, fille émérite du protestantisme, l’ambassadrice internationale de leur philosophie et, dès les années 1860, une ville de congrès aux vocations humanitaires. André Durand, ancien délégué général du CICR, s’en explique pour la Revue internationale de la Croix-Rouge: «Dans beaucoup de pays d’Europe au régime autocratique, la liberté de réunion était restreinte, la liberté d’expression n’était pas garantie.» 

Grâce à ses lois libérales et à son esprit d’ouverture, la cité du calvinisme, dont le besoin permanent est «d’inventer, d’améliorer, d’administrer», voyait régulièrement affluer dans ses murs, politiciens, diplomates, syndicalistes ou pacifistes. Entre 1863 et 1874, neuf congrès internationaux y seront organisés pour débattre des grandes questions relatives à la protection des victimes de la guerre, à la condition ouvrière, à l’avènement de la paix, à l’arbitrage, au perfectionnement du droit. Ce qui a fait dire aux Genevois eux-mêmes qu’être citoyens de cette ville prédestinée c’est être dépositaires d’une vérité. «De la Réforme, écrit pour sa part François Bugnion, Genève a conservé la conviction de l’imprescriptible dignité humaine, conséquence de l’alliance de Dieu avec sa créature, celle aussi de la supériorité de l’appel à la raison, au libre arbitre et à la responsabilité individuelle sur la soumission au dogme et à l’autorité de la hiérarchie.» 

Lorsque le «Comité des cinq» inaugura la Conférence préparatoire d’octobre 1863 au palais de l’Athénée, prêté pour l’occasion par la famille Eynard, tous les délégués étaient naturellement imprégnés de cette idée de sagesse et de raison qui en faisait le carrefour des nations et le refuge des proscrits du fanatisme. 

D’après les témoignages, il semble que ce 26 octobre 1863 fut une belle journée d’automne. Sur le perron de l’Athénée, le président Moynier accueillit solennellement les dignitaires. Aussi, lorsque tout le monde eut prit place sous les ors de la rue de Candolle, le général Henri Dufour monta sur l’estrade afin de souhaiter la bienvenue aux participants, et les remercia de leur présence en ce lieu. Le grand lustre de cristal, qui éclairait le salon décoré de portraits, donna tout de suite à cette assemblée des allures historiques. 

Henri Dufour paraissait plus grand qu’il n’était, debout sous les regards scrutateurs de ses hôtes. Sanglé dans une redingote noire, il incarnait parfaitement les idéaux du Comité. Il imposait non seulement l’admiration pour sa valeur militaire, mais également le respect pour les thèses humanitaires qu’il développait à propos de la guerre et pour l’intérêt qu’il portait à ses victimes. On se souvenait surtout de la manière qu’il avait eue de gérer le conflit qui divisa la Suisse en 1847, qu’il régla en vingt-cinq jours avec un minimum de pertes humaines. Les ordres qu’il avait donnés aux soldats fédéraux d’épargner les blessés des cantons dissidents, catholiques et conservateurs, ainsi que les prisonniers, les civils sans défense et les biens, n’avaient laissé personne indifférent. Et cela bien au-delà des frontières de la Suisse.
– Il parla de la situation du soldat qui, le plus souvent, arrive sur le champ de bataille en sachant que pour toute récompense il sera probablement livré à la souffrance la plus terrible… sans le moindre soulagement, et dans les angoisses affreuses de l’abandon! 

Dunant savait mieux que personne de quoi il retournait.
– Puis le général s’adressa de telle manière aux délégués des nations présentes, (l’Autriche, la Bavière, la Bade, la France, la Grande-Bretagne, le Hanovre, la Hesse-Darmstadt, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, la Prusse, la Saxe, l’Espagne, la Suède, la Suisse et le Wurtemberg) qu’ils eurent l’impression qu’il parlait à leur cœur autant qu’à la raison d’Etat.
– D’homme à hommes… lança Georg Baumberger. Et il leur dit:
- Malgré les efforts philanthropiques des congrès de la paix, tant que les passions subsisteront, et cela menace de durer encore longtemps, il y aura des guerres sur cette terre. Il faut donc plutôt que de poursuivre la chimère de leur suppression, pour être vraiment utile à l’humanité, s’attacher à en rendre les conséquences moins terribles, si possible, en venant en aide, de la manière la plus efficace, à ceux qui sont chargés de porter secours à ces misères, leur fournir le concours des bras qui leur manquent, et cela sans qu’il en résulte d’embarras préjudiciables au commandement des armes. 

Tel était exactement le problème que les hôtes du «Comité des cinq», désormais Comité international, allaient avoir à résoudre pendant quatre jours. Ce fut Gustave Moynier qui prit ensuite la parole. Son intervention provoqua le débat sur l’imperfection et l’insuffisance des ambulances dans les armées, puis ce fut l’économie du projet qui fut mise en discussion. Mais dans l’esprit d’Henry Dunant, il fallait avant tout qu’un comité national se forme dans chacune des capitales d’Europe, et que celui-ci s’assure auprès de son gouvernement que ses offres de service soient acceptées en cas de conflit.
– Dès que la lutte s’engage, et que le sol est jonché de morts et de mourants, conclut Henry Dunant comme s’il se trouvait encore à l’Athénée, il fallait exiger que, sur un signe du général en chef, les détachements de volontaires accourent et se mettent à l’œuvre: voilà ce que l’on entendait faire comprendre aux délégués. Ce que l’on attendait qu’ils entérinent. La contestation, les chicanes prirent d’abord l’ascendant sur le débat d’idées. 

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