Cher Werner,
Chaque fois que nous nous rencontrions, nous parlions de la vie, du temps qui passe, de la politique suisse ou de nos dirigeants qui n’y comprennent pas grand-chose à la marche du siècle finalement. «Que veux-tu, ils font de leur mieux», ajoutais-tu avec un ton grave avant d’esquisser un sourire.
La plupart du temps, tu me donnais rendez-vous dans ta maison lovée dans une petite vallée bien cachée, à deux pas de Berne. Tu me préparais alors un café turc, bien serré, et on se mettait au travail sur la table de ta salle à manger où tu déposais ton ordinateur, une feuille et un crayon.
Nous philosophions ensuite sur le sens de l’image et de la photographie, l’objet de nos rencontres et ta grande passion. Celle qui t’a accompagné ta vie durant alors que ta carrière professionnelle t’a amené, elle, sur d’autres fronts, toi le sociologue de talent, exigeant, méticuleux et apprécié.
On l’oublie, mais tu as été responsable des statistiques démographiques et sociales de la Suisse à l’Office fédéral de la statistique, chargé de cours à l'Université de Genève et directeur du Fonds des Nations Unies pour la population à New York et Istanbul.
Passionné par les questions de démographie, de migration et de politique de développement, à la retraite depuis quelques années, tu étais encore très actif sur ces questions tout en t’étant remis à la photographie. «J’aime capter l’âme des peuples. J’aime leur regard et leur parcours. Et quoi de mieux qu’un appareil pour garder une trace, la mienne», ajoutais-tu alors que nous faisions des plans sur la comète.
Un livre? Un nouveau reportage? Un projet de mook? C’était à chaque fois, oui. Et plutôt deux fois qu’une… Or, tout est tombé à l’eau le 13 septembre 2023. Ce jour-là, ton corps t’a lâché et tu as traversé le miroir de la vie. Sans un bruit. Discrètement. Comme tu savais si bien le faire en tant que photographe.
«Pour Werner, la photographie était très importante et épanouissante», nous a écrit ton épouse dans le message nous annonçant ton décès. Elle a raison. Elle était même vitale, la photo. Et c’est pour cette raison, pour prolonger ta trace sur la terre, que nous avons décidé de publier l’un de tes reportages dans notre numéro spécial photojournalisme annuel. En guise d’hommage. En guise de remerciement pour tout ce que tu nous as offert.
Après l’Irlande et les institutions suisses de l’enfermement administratif, nous te suivons cette fois-ci en Chine, plus précisément dans la ville de Kachgar où tu débarques alors que Pékin tente d’effacer méthodiquement les traces de la culture ouïghoure. Rue après rue. Maison après maison. Souk après souk. Pierre par pierre.
En voyage, tu documentes – un peu par hasard, m’as-tu avoué un jour - cette destruction urbanistico-politico-ethnique.
Avant de laisser nos lecteurs découvrir ton travail passionnant ou encore celui de Manel Santiso, lauréat du prix Sept du photojournalisme suisse 2023, la rédaction de Sept souhaite présenter ses plus sincères condoléances à ta famille, à tes proches et à tes amis.
Avec ton départ, nous perdons un grand photojournaliste. Humble et doué. Nous perdons aussi un ami. Cher Werner, tu vas nous manquer. Repose en paix.