Chère Monique
Cet été, j’ai eu le plaisir de faire votre connaissance dans votre maison d’Epesses, une bâtisse vigneronne restaurée avec soin, ouverte sur la douceur des vignes alentour et l’éclat du Léman, en contrebas. Dès que j’ai passé le seuil, j’ai senti que cet endroit était bien plus qu’une habitation, c’était le refuge d’une artiste curieuse des autres. Aux murs, des photos, des photos et encore des photos. Toute une vie de labeur, de création et d’engagement au service, entre autres, du photojournalisme. Votre atelier, niché au sous-sol, débordait de vos compagnons de toujours: vos appareils, ces instruments avec lesquels vous avez capté tant d’humanité.
Vous m’attendiez, assise sur votre lit, souriante malgré la fatigue de vos 89 ans. Votre santé, chancelante depuis quelques années, semblait peser sur votre corps, mais pas sur votre esprit. Vous m’avez souri, m’avez invité à m’asseoir sur une chaise tout proche et nous avons bavardé alors que vous feuilletiez les Sept mooks que j’avais apportés. «J’aime votre manière de traiter l’image», m’avez-vous confié avant de me glisser: «Mais pas de photos coupées dans les plis des pages, hein?» Nous avons ri, et je vous ai promis d’y veiller dans l’ouvrage que nous souhaitions vous consacrer et que nous étions en train de préparer, une idée initiée par Peter Pfrunder, ancien directeur de la Fotostiftung Schweiz. La publication que nos lecteurs tiennent dans leurs mains à l’instant.
Je vous ai ensuite expliqué que nous avions prévu, outre les textes qui mettent en perspective votre carrière, une interview et des témoignages, trois portfolios puissants. Le premier reviendrait sur votre plongée dans l’univers des femmes, ces figures que vous avez sublimées avec une sensibilité rare et auxquelles vous avez consacré plusieurs livres. Nous voulions ensuite partir sur les chemins de traverse de vos grands reportages. Enfin, nous souhaitions reproduire vos portraits de stars que vous aviez saisis avec tant de justesse. Un travail peu connu. Vous sembliez satisfaite, apaisée. «Tout cela me va».
Quelques semaines plus tard, vous choisissiez de partir, avec cette dignité et cette lucidité qui vous caractérisaient. Votre départ a laissé un vide immense tout en nous donnant une mission, celle de faire vivre le travail d’une grande dame de la photographie contemporaine. Un trésor que vous nous avez permis de partager avec notre public. Un privilège.
Pour tout cela, merci, chère Monique.