J’ai été élevé dans la peur du rouge, du communiste, de ceux de l’autre côté du mur. C’était ainsi dans l’Europe occidentale de la guerre froide. Il fallait choisir ton camp, camarade! Car la police fédérale fichait ceux qui hésitaient. Et les cocos n’avaient pas bonne presse.
Puis vint la délivrance en 1991: la chute piteuse de l’URSS et ce malin plaisir que nous avons eu à voir un immense pays sombrer dans la corruption et le chaos. On vous disait bien que le capitalisme était le meilleur système, triomphaient les dirigeants occidentaux alors que l’espérance de vie, dans l’ex-empire communiste, piquait du nez dans les effluves de vodka frelatée.
J’ai honte en y repensant. J’ai honte parce que nous avons laissé passer une chance historique de recréer une Europe forte, de Calais à Vladivostok. Une Europe capable de dialoguer d’égal à égal avec la Chine et surtout avec les Etats-Unis d’Amérique, notre meilleur ennemi, et de se passer de Londres, notre pire allié.
Nous avons eu tort de nous réjouir des malheurs de ce grand Est en mouvement auquel nous consacrons notre dossier et surtout de cette Russie que Washington et Vladimir Poutine tentent — avec succès — de nous rendre si impopulaire.
Nos destins sont pourtant liés, comme le raconte David Brun-Lambert dans son roman russe. Qui se souvient que le lac Léman fut le foyer de la révolution soviétique? Que les bolcheviks se réunissaient à la brasserie Landolt, dans le quartier de Plainpalais? Et que c’est à l’ombre du jet d'eau de Genève et des banques privées qu’un monde nouveau a été enfanté avant de naître en 1917?
Or cette graine plantée en Suisse allait diviser les esprits, les continents et les destins au XXe siècle et provoquer une guerre mondiale sanguinaire qui a bouleversé des millions de vies, notamment celles des Allemands de Lituanie rencontrés par Luc André. Orphelins, perdus dans le flot de réfugiés fuyant l’avancée de l’Armée Rouge en 1945, ils sont restés prisonniers du rideau de fer.
Leur tragédie nous rappelle la fragilité de notre Europe et l’utilité de son union mise à mal par le Brexit et la crise des réfugiés alors qu’il n’est pas si compliqué de montrer du courage. Même en politique.
L’exfiltration de l’Azerbaïdjanais Emin Huseynov par la Suisse en est un bon exemple. C’est dans l’avion de Didier Burkhalter, notre ministre des Affaires étrangères, que ce journaliste traqué par les services secrets de son pays, a pu quitter Bakou.
Une évasion première classe et surtout un récit totalement inédit d’Ugo Curty.
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