Ce printemps 2024, j’ai osé évoquer avec des amis français le rôle de la Suisse dans le colonialisme. Le regard de mes interlocuteurs? Incrédule. «La Suisse? Mais qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans?» Eh oui, que serait allé faire notre pays dans cette galère? Pour y répondre, nous vous proposons simplement de vous poser une seule question: comment se fait-il que nous sommes un géant du chocolat et du café, alors qu’aucune de ces plantes ne pousse au pied des Alpes?
La réponse est claire et simple: la Suisse a été un acteur dans ce vaste système d’exploitation. Notre pays a construit son impérialisme de manière subtile, feutrée, en jouant sur son image de neutralité, de «petit pays sans accès à la mer», au service des autres.
Nous avons su naviguer entre les grandes puissances coloniales dont les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Espagne ou la France tout en restant ostensiblement «hors-jeu». Pourtant, derrière la Croix-Rouge, les bons offices, nos mercenaires ou nos migrants, la Confédération a tissé des liens financiers et commerciaux avec les empires. Dès le XVIe siècle, les banquiers de Genève et les négociants de Bâle faisaient déjà partie des grandes dynamiques d’exploitation mondiale dont le trafic d’esclaves, en silence.
C’est là la particularité de l’impérialisme à la sauce helvétique: il n’a jamais été question de conquêtes militaires, mais plutôt de profits tirés de la colonisation des autres. Nestlé, Novartis, ABB – autant de multinationales qui ont prospéré grâce aux ressources venues d’ailleurs. Richard Behrendt l’avait déjà observé en 1932 dans son ouvrage Die Schweiz und der Imperialismus. Ce n’est pas nouveau, et pourtant, ça reste largement ignoré. Comme un tabou. Un de plus.
Le numéro 47 de Sept Mook donne la parole à des historiens qui n’ont pas peur de soulever ce voile. Grâce à eux, nous comprenons que notre confort ne s’est pas bâti en autarcie. Mais sommes-nous prêts à reconnaître que notre prospérité est, en partie, le fruit d’un système profondément inégalitaire?