Avec lui, on ne s’ennuie pas. Je peux lui poser les questions que je veux et il répond en détaillant toujours davantage. Moitié en anglais, moitié en russe. Le moment est venu d’approfondir un peu sa relation au nationalisme. Egor Kholmogorov ne cache pas d’avoir éprouvé de la sympathie pour les manifestants qui ont souhaité renverser le régime corrompu de Ianoukovitch. «Car les Ukrainiens ne sont pas de mauvais types, au fond. On aurait pu s’entendre avec eux». Mais l’anti-russisme forcené que les plus extrémistes d’entre eux ont révélé, et dont s’est servi le gouvernement de Kiev, fait que, désormais, seul le sort de la population russe ou russophile d’Ukraine compte à ses yeux.
Cela me rappelle ce qu’on appelle le Röstigraben en Suisse. Ce «fossé des langues et des cultures», entre les régions alémaniques et francophones que délimite la Sarine, une rivière. En Ukraine, il y a le fleuve Dniepr, qui divise presque naturellement l’ouest et l’est du pays. L’Ouest s’est finalement plutôt tourné vers l’Europe. Tandis que la steppe orientale de l’Ukraine ne comptait, avant le déclenchement du conflit, guère de barrières avec le bassin du Don en Russie. Certes, il y a une différence d’échelle. Mais la Suisse confédérée ne pourrait-elle fournir un modèle de fédéralisation à l’Ukraine? «Non, répond Egor Kholmogorov, vous n’avez aucune idée de quoi sont capables ces nationalistes ukrainiens. Cela ne ressemble à aucun nationalisme existant. Ils ne veulent pas de solution. Ils sont complètement fous. Très antisémites. D’ailleurs, je ne comprends pas du tout pourquoi certains Ukrainiens juifs les soutiennent. C’est absurde. Dans tous leurs chants, déclarations, slogans, ils sont impitoyablement agressifs.» J’interpose dans le discours inspiré de mon commensal que j’ai été frappé par ce slogan crié à tue-tête par les ultranationalistes ukrainiens: Moskali na noji! Ce qui veut dire: «Le couteau pour les Russes!»