Le lundi 28 juin 1971 au matin, Maître Charlie Nesson rejoint les époux Ellsberg dans leur dernière planque pour les accompagner à la Cour fédérale. Il s'attend à ce que la presse y soit présente en masse. Pour l’occasion, Daniel Ellsberg a revêtu son unique complet-veston, discrètement récupéré par un proche. «A l’époque, on croyait que quelqu’un de bien habillé avait une chance de s’attirer les bonnes grâces du jury», sourit Ellsberg. L’avocat est nerveux. Le ministère de la Justice a donné des instructions précises au FBI: hors de question de laisser le lanceur d’alerte se présenter libre au Palais de justice. Il faut l’intercepter coûte que coûte avant son arrivée et le présenter à la presse menotté et enchaîné. Le directeur du FBI a mobilisé ses agents, le Bureau veut se venger. Cela fait deux semaines qu’il traque en vain Ellsberg sans parvenir à l’empêcher de distribuer des milliers de pages top secret d’un bout à l’autre des Etats-Unis.
Le taxi qui conduit les époux Ellsberg et leur avocat suit un itinéraire soigneusement planifié, hors des grands axes. Daniel Ellsberg peaufine les déclarations qu'il va faire devant la foule de journalistes présents. Il doit être bref, concis, clair. Réalisant qu’il n’aura peut-être pas l’occasion de s’exprimer, il griffonne sur un bloc le contenu de son intervention afin que son épouse la lise le cas échéant.
Le Post Office Square est noir de monde. Des centaines de sympathisants, certains brandissant des pancartes, ont rejoint les journalistes. Le trio est happé par la foule sans même que les fédéraux présents sur place ne puissent intervenir. «J'ai vu tellement de visages familiers, explique Ellsberg, que je me suis demandé si j’assistais à mon anniversaire-surprise, à une émission de la caméra invisible ou à une expérience de mort imminente quand le "quasi défunt" rencontre au bout d’un tunnel de lumière tous ceux qu’il a aimés.»