Dans un petit appartement du New Jersey, le Cheikh aveugle suit de près l’évolution de la situation en Somalie. Il s’entretient régulièrement avec certains de ses hommes au Pakistan et s’enquiert du nombre de victimes américaines. Quand il y en a, il s’en félicite: «OK. C’est bien, c’est une bonne chose.» Ses conversations téléphoniques sont désormais systématiquement enregistrées et traduites. Mais elles se tiennent en arabe et, parfois, les traducteurs du FBI ont du mal à suivre faute d’une culture djihadiste suffisante. Omar Abdel-Rahman parle souvent de «la base». Il ne s’agit pas d’un lieu, comme le pensent les agents fédéraux, mais d’une organisation: Al-Qaïda. Le cheikh suit de près les déboires de l’organisation, en pleine restructuration après son départ d’Afghanistan. En fait, Al-Qaïda est en sommeil, quasi à l’abandon.
– Y a-t-il des camps encore opérationnels? demande-t-il à l'un de ses correspondants au Pakistan.
– Non. A part le nôtre, il n’y a plus rien.
– Et s’il y a des gens qui veulent s’entraîner au Pakistan… Comment font-ils? Ce n’est pas bien.
– Non, ça n’est pas bien. Tout est fermé, même Al-Qaïda. Il n’y a plus rien, sauf pour les opérations spéciales.
– Bien, alors ce que je prépare est une opération spéciale.
– Si ça vient de vous, alors il n’y a pas de problème.
Mais que prépare donc de si spécial le Cheikh aveugle?
Ce 26 février 1993, quelques heures après l’attentat contre les tours jumelles du World Trade Center, l’agent spécial John Anticev débarque à l’aéroport Kennedy. Il l’ignore, mais il y a de fortes chances qu’il y ait croisé Ramzi Yousef prêt à embarquer pour le Pakistan. Anticev est là pour réceptionner un prisonnier serbe en vue d'interrogatoire. Sur la foi d'une première revendication fantaisiste, le FBI croit encore que l’attentat pourrait être lié à l’intervention des Américains en Bosnie. Anticev n’est pas de cet avis. Il redoute de découvrir la vérité. Son biper résonne. C’est son partenaire Louis Napoli qui lui demande instamment de le rappeler. «Tu ne vas pas le croire, lui dit Lou. Sur les lieux de l’attentat, les techniciens de la police scientifique ont retrouvé une pièce du moteur de la fourgonnette Ford Ecoline. Elle porte un numéro d’identification qui nous a conduits à une agence Ryder de Jersey City. Tu ne devineras jamais par qui le véhicule a été loué. Salameh!» Une vieille connaissance. «J’étais effondré, me confie John Anticev. Oh! Mon Dieu. Mohammed Salameh! Nous avions des photographies de lui en train de s’entraîner avec des armes à feu au stand de tir de Calverton. C’est un ami de Nosair. C’est un ami de tous ces types qu’on recherche depuis des années.» Pendant ce temps, Mohammed Salameh est retourné à l’agence de location pour récupérer ses 400 dollars de caution, ce qui est impossible tant qu’il n’a pas fourni de rapport de police certifiant le vol du véhicule. Il ne l’a pas. Le soir même, il est au commissariat de police de Jersey où il vient annoncer la disparition de la fourgonnette et il en ressort avec une attestation en bonne et due forme. Quand le FBI remonte jusqu’à la succursale Ryder, le jeune homme est déjà venu deux fois réclamer sa garantie...