Siddig Ali est un homme dangereux. En juillet 1992, il avait été pressenti pour faire partie du groupe qui allait commettre l’attentat du World Trade Center. Il devait rencontrer le chef de la cellule terroriste, el Sayyid Nosair, à la prison d’Attica, mais l’entretien d’embauche annulé, au dernier moment, n’a jamais eu lieu. En décembre, Mahmud Abouhalima lui a aussi demandé d’effectuer des tests sur de petits échantillons d’explosifs afin de s’assurer que le dispositif meurtrier est au point. Mais Siddig Ali a trop traîné et Abouhalima s’est adressé à quelqu’un d’autre. En fait, à l’instigation du Cheikh aveugle, Siddig Ali a mis sur pied en 1992 un petit groupe paramilitaire d’une dizaine d’hommes, prêts à intervenir à tout moment sans poser de questions. Secondé par l’armurier de l’organisation, Clement Rodney Hampton-el, alias le Docteur Rashid, il a organisé des séances d’entraînement dans des zones reculées de Pennsylvanie. «Pour l’infrastructure, Hampton-el était financé par des militants islamiques à l’étranger, explique le procureur Andrew McCarthy en 2010. Siddig Ali choisissait les recrues avec la bénédiction d’Abdel-Rahman.» Par la suite, Siddig Ali s’est laissé aller aux confidences avec Emad Salem: «Notre but était d’avoir des hommes parfaitement entraînés pour pouvoir intervenir partout où le djihad l’exigeait.» Les champs de bataille ne manquent pas. Les hommes d’Al-Qaïda combattent en Somalie aux côtés de ceux d’Aidid ou en Bosnie contre les Serbes. Mais Siddig Ali n’a jamais eu l’occasion d’envoyer ses hommes à l’étranger. Parmi ses instructeurs se trouvait un infiltré du FBI, Garrett Wilson. Commencées en octobre 1992, les formations militaires de Pennsylvanie s’interrompent quatre mois plus tard, au lendemain de l’attaque à l’explosif des tours jumelles, pour cause de surveillance du FBI. Au cours de ces quatre mois, des dizaines d’islamistes ont pris part à l’entraînement. Parmi eux, Abdo Haggag, taupe des services secrets égyptiens, qui est devenu l’ami de Siddig Ali. Ils sont prêts à intervenir dès que le Cheikh aveugle en donnera le signal. Ce qui ne saurait tarder.
Depuis le début des années 1990, la tension monte inexorablement en Egypte. La CIA est inquiète. Dans un rapport à l’attention du président Clinton (US National Intelligence Estimate-NIE), elle estime que le président Hosni Moubarak court le risque d’être assassiné par les militants islamistes. La tension va crescendo. En 1991, les affrontements entre policiers et islamistes ont fait 96 morts, un an plus tard le bilan meurtrier est passé à 322 pour grimper à 1’116 en 1993. Aux attaques islamistes, le gouvernement répond par des vagues d’arrestations massives, la torture et les assassinats. Une guerre larvée qui ne dit pas son nom menace d’éclater en révolution. Les prêches du Cheikh aveugle circulent sous le manteau dans les mosquées du Caire. Ses propos sont relayés par une campagne de tracts qui appellent à résister à «l’oppression et l’injustice». «L’Etat de la terreur ne durera qu’un court instant, tandis que l’Etat islamique a l’éternité pour lui», prédit Omar Abdel-Rahman. Moubarak riposte en affirmant dans un entretien publié par un quotidien égyptien que son opposant est une créature de la CIA. Indignés, les Américains protestent. Moubarak fait machine arrière, ses propos ont été déformés. Mais le mal est fait. La manœuvre ne trouble guère le Cheikh aveugle qui rêve depuis longtemps d’éliminer le président honni. En 1992, on s’en souvient, il a ordonné à Emad Salem de le faire. Le complot a été déjoué et Moubarak a ajourné sa tournée aux Etats-Unis. Un an plus tard, c’est au tour de Siddig Ali de reprendre le flambeau. Le raïs égyptien a fixé une nouvelle date pour sa visite officielle, entre la fin du mois de mars et le début du mois d’avril 1993. Une étape new-yorkaise est au programme. Siddig Ali charge l'un de ses contacts haut placés, un diplomate qui siège au sein de la délégation soudanaise auprès des Nations Unies, de lui fournir des informations. Mais les Egyptiens sont méfiants: impossible d’avoir des détails sur l’itinéraire emprunté par le cortège présidentiel. En revanche, Siddig Ali découvre le nom de l’hôtel où il est prévu que sa cible séjourne: le Waldorf Astoria. Situé en plein cœur de Manhattan, le bâtiment se prête parfaitement aux plans de Siddig Ali qui n’a aucun mal à faire des repérages. A l’intérieur comme à l’extérieur de l’hôtel, une foule de touristes, d’hommes d’affaires et de clients confère aux lieux un petit air de hall de gare grand luxe. Le plan de Siddig Ali est simple. Il a besoin de deux ou trois taxis judicieusement garés près de l’entrée de l’hôtel (certains de ses hommes, Soudanais pour la plupart, sont chauffeurs de taxi). Un commando hautement entraîné attendra la sortie du président égyptien. C’est à ce moment-là qu’ils doivent bondir hors des taxis, jeter leurs grenades et vider leurs mitraillettes. Siddig Ali est sûr de son coup. Il sait que la discrétion est la clef de voûte de sa réussite. Une seule personne est au courant de tous les détails. Pour expliquer son plan, il a fait un croquis des lieux, puis s’est empressé de l’avaler sitôt ses explications terminées. Pas de chance pour lui, son interlocuteur et bras droit n’est autre qu’Abdo Haggag, la taupe des services secrets égyptiens. Ce dernier est abasourdi. Il tente quelques objections.
– Il va y avoir des fuites.
– Impossible, toi seul es au courant. Même l’équipe que j’ai choisie ne sait rien.
– Tu vas quand même devoir les mettre au courant à l’avance.
– Pas du tout. Ils sont entraînés et prêts à passer à l’action à tout moment. C’est une petite cellule qui ne reçoit ses ordres que de moi. Je les avertirai au tout dernier moment.
– Mais il nous faut des armes. Moubarak arrive dans quelques jours à New York.
– Ne t’en fais pas, le Docteur Rashid va nous aider.