Bakou, Azerbaïdjan. 18 août 2014, début d’après-midi. La chaleur est intenable dans les rues étroites du quartier d’İcherisheher, au cœur de la vieille ville. Les maisonnettes en pierre répercutent les rayons du soleil. Les gérants des petites boutiques à souvenirs sortent s’abriter sous les arbres pour respirer un peu d’air. Seuls les restaurants traditionnels climatisés semblent échapper aux affres de l’été azéri. Une voiture roule au pas sur une trentaine de mètres en direction du numéro 9 de la rue Böyük Qala: l’ambassade suisse. Un homme s’extrait du véhicule en vitesse. C’est Emin Huseynov. Le journaliste se terre depuis des jours pour échapper aux services secrets. Ses prises de position en faveur des droits de l’homme sont devenues insupportables à l’autoritaire président Ilham Aliyev. Le régime azerbaïdjanais est déterminé à le réduire au silence. Poursuivi sous de fallacieuses charges d’évasion fiscale, il risque la prison, et pire encore. L’ambassade suisse est son ultime espoir. Emin Huseynov s’est teint les cheveux et la barbe en blond platine. Il porte des lentilles de couleur grise. Ainsi grimé en Occidental, il espère berner ses cerbères pour l’atteindre.
Des proches sont venus repérer les lieux peu avant. La voie semblait libre. Il n’en est rien. Six membres des services secrets surveillent discrètement la petite maison à trois étages. Ceux-ci apostrophent l’agent de sécurité privé qui campe devant l’ambassade pour qu’il intercepte le nouvel arrivant et lui demande son passeport. Malgré la nervosité ambiante, personne ne le reconnaît. «I am Alex Irmindiyev, dit-il dans un anglais rudimentaire. Sorry, I don’t speak azerbaïjani.» Il appuie sur la sonnette de l’ambassade tandis que l’agent continue de l’interroger. «Si personne ne m’avait répondu, le garde aurait fini par me reconnaître. Une minute de plus et j’aurais été arrêté.» Les portes s’ouvrent alors subitement et quelqu’un le tire à l’intérieur. Emin Huseynov est sauf.
Le choix de l’ambassade helvétique ne doit rien au hasard: l’Azerbaïdjanais bénéficie de liens privilégiés avec la Suisse et Didier Burkhalter. Il a en effet rencontré le Conseiller fédéral, alors Président de la Confédération et de l’OSCE, à deux reprises. Leur dernier entretien remonte à quelques semaines lors d’une réunion à Berne le 12 juin 2014, autour de la question des droits de l’homme. A cette époque, sa sécurité personnelle n’était pas encore en danger. Deux mois plus tard, la situation avait changé du tout au tout et l’ambassadeur de Suisse à Bakou était informé de sa venue. Une fois entré dans le bâtiment, Emin Huseynov devra attendre deux heures avant de recevoir l’accord final du DFAE pour rester dans le bâtiment diplomatique.
«Demander à la Suisse de protéger ma vie a été la meilleure décision de ma vie.» Attablé au deuxième étage d’un café de Berne, Emin Huseynov a parfois le regard perdu dans le vide, comme s’il revivait encore une fois ces scènes qui ont changé le cours de sa vie. Ironie de l’histoire, c’est devant le Palais fédéral que nous avons rendez-vous quelques mois après son arrivée en Suisse. Par pure commodité. Le trentenaire est arrivé avec un quart d’heure de retard et s’est immédiatement excusé. Malgré un physique presque chétif, le journaliste dégage un certain charisme. Son calme reflète une lucidité profonde face aux enjeux qui l’attendent. Au-delà des menaces qui pèsent encore sur lui aujourd’hui, mais surtout sur ses proches restés au pays, il continue son combat. Emin s’exprime dans un anglais teinté d’accent azerbaïdjanais et choisit patiemment ses mots. De temps en temps, un sourire malicieux vient illuminer son visage souvent impassible. Son récit est celui d’un Azerbaïdjan oppressé, mais terriblement vivant.