Sept.info | Corps d’ébène, cœur de ferraille

Corps d’ébène, cœur de ferraille

Contre ce mur recouvert de graffitis, de la ferraille récoltée par les migrants venus d'Afrique, leur seul moyen de commerce pour éviter de plonger dans le trafic de drogue. © Sarai Rua Fargues

Dans les strates invisibles de la touristique Barcelone, des centaines de migrants d’Afrique subsaharienne rouillent à petit feu. La ferraille qu’ils récoltent pour survivre depuis le début de la crise se fait rare, leur espoir d'une vie meilleure s’estompe.

Le ronronnement aérien de l’hélicoptère des Mossos d’Esquadra (la police catalane) se rapproche. Dans la pénombre d’un terrain vague, entre des chariots remplis de ferraille et des baraques protéiformes, Makay charge son arme et bloque sa respiration. Les hélices de l’oiseau de fer apparaissent devant le disque du soleil… 

«Pan, pan, pan», crie le jeune Camerounais au physique de lutteur… L’œil dans le viseur d’une selle de vélo! Autour de lui, Mohammed, Barry et 2Pac explosent de rire. Un soupçon d’insouciance éclaire le visage dur de ces migrants africains qui occupent un entrepôt abandonné, situé Plaça de les Glòries catalanes (Place des gloires catalanes). Makay a beau n’avoir presque plus de dents de devant, il déborde d’astuces pour réussir à joindre les deux bouts. Mais ces jours-ci, dans les terrains en friche et les appartements squattés par les migrants africains à Barcelone, la tension est palpable. Car le recyclage de ferraille, leur activité principale depuis le début de la crise économique espagnole, se fait rare.

Combien sont-ils à vivre ainsi, en marge de l’effervescence de la ville de Gaudi? «Entre 200 et 300. Difficile à dire, leur nombre ne cesse d’augmenter», estime Jordi Portabella, membre du parti de gauche catalaniste ERC (Gauche républicaine de Catalogne) et de la municipalité de la ville de 1,6 million d’habitants. «Le double, au moins», corrige Montse Mila, bénévole au sein de l’Association des voisins de Poblenou, quartier post-industriel où les migrants africains ont occupé de nombreux entrepôts abandonnés ces dernières années.

Attirés par la régularisation massive de 700’000 immigrés sans-papiers en 2005 par le gouvernement socialiste de José Zapatero, des milliers de Sénégalais, Camerounais, Gambiens ou Nigérians ont mis tout leur espoir dans la traversée de la mer Méditerranée. Or depuis 2008, ils assistent impuissants à «la grande dépression espagnole», selon l’expression du professeur d’histoire économique à l’Université d’Alcalà de Henares à Madrid Francisco Comín Comín, qui a fait grimper le taux de chômage jusqu’à 27% de la population active.

La main-d’œuvre étrangère, accueillie à bras ouverts pendant le boom économique des années 2000, est devenue superflue, sa présence anachronique. Pourtant, ils continuent de venir. Dans la seule journée de mardi 12 août, Le Monde rappelait que 700 migrants d’Afrique subsaharienne ont tenté de franchir la frontière grillagée de Melilla pour rejoindre la Péninsule, tandis que 681 personnes recroquevillées dans des pateras (barques précaires) étaient secourues au large de Cadix.

Ce vendredi 11 septembre 2014, la Plaça de les Glòries catalanes n’a jamais aussi bien porté son nom. Les hélicoptères des médias et de la police que Makay s’amuse à viser survolent une foule de 1,8 million de personnes, selon la mairie de Barcelone. Vêtus de rouge et or, les couleurs de la Catalogne, ils forment un gigantesque V humain, signifiant «Voter et Victoire». Cette année, la célébration de la fête nationale catalane s’est transformée en plébiscite pour le droit à l’autodétermination. La consultation sur l’indépendance de la Catalogne, fixée au 9 novembre prochain par le gouvernement de la communauté autonome, est refusée par Madrid.

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