Il vient de fermer la porte derrière moi, le vieux. Je suis coincé comme un chien. On s’était mis d’accord pour qu’il me montre cette cave dans laquelle la drogue est coupée, pesée puis conditionnée. Il devait rester avec moi le temps que je fasse quelques photos, et on devait aller en parler chez lui autour d’un café turc. Mais si ça sent bien le shit ici, ça sent aussi la sueur, sans trop savoir quelle odeur domine l’autre. Le vieux ne cherche pas lui. «Si ça pue l’homme, ça pue la merde», grommelle-t-il en s’éclipsant plus vite que ne le laisserait imaginer sa patte folle.
Le vieux, on s’en méfie dans le coin parce qu’il renseigne tout le monde, les paumés, les dealers, les locataires, les proprios, les flics, tant qu’il y gagne quelque chose, en nature ou en service. «Vous me faites un bon article sur les dealers du B, comme ça, à la mairie, ils finiront bien par le détruire ce putain de bâtiment, et ça arrangerait du monde». C’est son deal avec moi. Le journalisme, c’est aussi se laisser manipuler un peu, en conscience et en contrôle.
Mais les lieux ne sont pas vides comme prévu, les dealers du B sont là. Ils coupent, pèsent, emballent quand nous entrons. Trois branquignols qui sursautent comme des bébés réveillés par une porte qui claque, persuadés d’être face à des flics avec matraques, gazeuses et menottes bientôt trop serrées, prêts à déguerpir par-derrière, via le trou de ce qui a dû être une fenêtre.
«Oh! putain! Tu viens nous regarder même ici, le journaliste?» Il y a du soulagement dans la voix du garçon gras comme un kebab, car il sait que la fuite aurait été compliquée pour lui. Oui, je viens les regarder jusqu’ici, dans ce trou de poussière, jusqu’au fond de ce qui fait leur vie à ces minots dont tant de monde commente le pourquoi du comment sans vraiment connaître leur réalité.
Aussitôt qu’on se reconnaît, eux et moi, que les craintes de chacun retombent en même temps que nos pulsations cardiaques, je prends place sur un fauteuil de bureau découpé au cutter, juste entre le gros et celui que je connais le mieux, Tadjidine, surnommé «Canard» par tout le monde à cause d’une voix nasillarde à s’en retenir de rire presque à chaque fois.
Même sa mère l’appelle Canard, et c’est elle qui me l’a présenté quelques mois plus tôt. «C’est un gentil garçon tu vas voir, m’assurait-elle avec son accent vaudou, que y veut s’amuser, que y veut s’amuser, rien d’autre.» Elle me l’avait amené par l’oreille. Le gamin, j’ai vu la suspicion quitter son regard quand je lui ai appris mes origines corses, comme ça, pour jouer aussi les déracinés comme lui et dompter un peu le sauvage qu’il faisait souvent semblant d’être.
Depuis, il m’appelle par mon surnom corse, «Baracca», que l’on prononce en avalant le a final. «Comme Obama?» me lançait-il la première fois. «Non, comme une maison», je lui répondais. Comme celle de ma famille là-haut dans l’Alta Rocca. «Ça veut aussi dire costaud», j’ajoutais pour fignoler le personnage. Dans son cerveau livré à lui-même d’adolescent en errance, un Corse de la montagne, c’est valorisant comme connaissance! Comme côtoyer un beau bandit, mais pas dangereux.