Arrivée à l’aéroport de Genève le 11 mars 1967 dans des circonstances rocambolesques, Svetlana Allilouyeva est immédiatement conduite par la Police fédérale à Beatenberg, une station thermale de l’Oberland bernois. Sur la route, une pause-déjeuner lui est accordée à l’hôtel-restaurant Les XIII cantons à Châtel-Saint-Denis. Logée sous un faux nom à l’hôtel Jungfraublick, son séjour à Beatenberg ne durera que 24 heures, la fille de Staline ayant été reconnue dans un magasin du village bernois. Les reporters sont avertis. Elle est alors transférée dans une «villa privée» jamais précisément identifiée sur les bords du lac de Thoune, où elle passe la nuit du 13 au 14 mars. Puis, le soir du 14 mars, elle est emmenée à Sankt Antoni, un petit village alémanique du canton de Fribourg, dans la maison de repos des sœurs catholiques de l’ordre Saint-Canisius (maison devenue depuis le Centre de formation catholique Burgbühl). Svetlana y est logée sous le nom de Miss Carlen, Irlandaise qui arrive d’Inde. Elle y demeurera jusqu’au 3 avril. Cornelio Sommaruga se souvient même de l'avoir croisée dans une rue de Fribourg: «Nous nous sommes salués brièvement. Elle était accompagnée d'une femme. Je n'ai pas vu de gardes du corps autour d'elle. Elle donnait l'impression de se promener librement.»
Dans l’ouvrage 25 Jahre Bildungszentrum Burgbühl (paru en 1997 en allemand seulement, à l’occasion des 25 ans du Centre de formation), on peut lire: «L’hôte la plus célèbre de tous les temps fut la fille de Staline, Svetlana Allilouyeva. Sur demande de l’évêque et de la Police des étrangers du canton de Fribourg, elle vécut à Burgbühl en mars-avril 1967. Personne à l’extérieur ne savait qu’elle logeait ici. C’est seulement après son départ que la presse rapporta son séjour à Sankt Antoni. Cette femme élevée dans l’athéisme découvrit ici le chemin du christianisme. Elle avait du plaisir à venir prier dans la chapelle de Burgbühl.»
Au début de son séjour en Suisse, la liberté de mouvement de Svetlana Allilouyeva est restreinte; elle passe son temps à lire et écrire. Deux jours après son arrivée à Sankt Antoni, elle a quand même droit à une distraction. «Le 16 mars, deux policiers du canton de Fribourg, en civil, viennent me demander si je veux visiter les environs. Nous partons en voiture et la randonnée s’avère fort agréable. Retrouvant dans ma mémoire mon allemand et mon français universitaire, je peux expliquer à mes compagnons que le téléphérique du Moléson, à 2'000 mètres d’altitude, me donne le vertige et que je préférerais un paysage plus plat. Nous plaisantons, prenons du café avec des skieurs dans un petit bar, et on me promet que la prochaine promenade sera dans la plaine. Pour finir, on me permet de conduire la petite Volkswagen, et nous nous quittons en bons amis.»* Une autre sortie est organisée à sa demande, le 26 mars, pour le dimanche de Pâques: «Je me rends à la cathédrale Saint-Nicolas avec mon "ange gardien" en civil, fervent catholique, qui chante tous les hymnes en français et en latin. L’évêque de Fribourg prononce son sermon en français: des paroles éternelles, adressées à tous les hommes, paroles de paix et de fraternité. Le souffle puissant de l’orgue, les voix argentées des chœurs, les fleurs, les cierges… La foule agenouillée… Je prie avec les autres.»*