Le rapide parti de Milan 90 minutes plus tôt franchit l’ultime tunnel pour s’immobiliser en gare de Florence. Il continuera vers Rome et Naples, mais je n’irai pas plus loin. Giovanna m’attend au bout du quai. Elle sera ma guide, ma cicérone dans cette aventure florentine.
Tout a commencé par un courriel reçu au printemps 2015. On m’informait que 16 citoyens florentins, bourgeois établis ou descendants d’antiques familles, avaient écrit une lettre à l’UNESCO à Paris. «Nous, les soussignés, demandons que le centre historique de Florence, patrimoine de l’humanité, soit placé parmi les sites en danger immédiatement.» Le document n’est pas tendre avec la Municipalité. Il l’accuse, entre autres dangers, de livrer le centre historique à la spéculation immobilière, ni plus ni moins. Les signataires s’inquiètent de la réaffectation du patrimoine protégé. Certes, palais et couvents d’une valeur souvent inestimable seront conservés, Dieu soit loué. Par contre, ils courent le risque d’être transformés en logements. Cette mutation implique une rénovation et refonte complète des intérieurs selon des critères peu en phase avec le goût des architectes de la Renaissance. Le groupe des 16 s’insurge en outre contre le creusement de parkings et de tunnels destinés à permettre le passage du train à grande vitesse, le TAV, et de nouvelles lignes de tramway. Ces projets, condamne le document, sont susceptibles de «mettre en danger l’intégrité de l’héritage artistique du centre de la ville. En plus, ils ne sont pas compatibles avec les normes environnementales européennes et s’avèrent obsolètes avant même leur mise en service.»
Parmi les monuments classés menacés figure l’ancien monastère de Santa Maria degli Angeli, qui comprend notamment l’émouvante rotonde de Brunelleschi, ainsi que l’époustouflante cathédrale Santa Maria del Fiore. La lecture de la lettre à l’UNESCO me coupe le souffle: les fondations du dôme risquent de subir les soubresauts des travaux d’excavation en prévision de la construction de galeries sous le centre historique. Mais ce n’est pas tout: les signataires ajoutent qu’après une étude minutieuse des plans, ils ont la conviction que la forteresse de Basso, éminent lieu de culture édifié pendant la Renaissance, ne sortira pas indemne du percement de tunnels sous la citadelle. Le tableau est terrifiant, d’autant plus que le collectif de plaignants pointe un nouveau danger, d’ordre hydraulique cette fois. A la suite des travaux liés au tramway, les débordements du torrent Mugnone, un affluent de l’Arno, pourraient mettre à mal l’église russe. Imaginé par la fille du tsar Nicolas 1ᵉʳ, ce bâtiment aux reflets kaléidoscopiques est très fréquenté par la communauté orthodoxe. Non sans raison et à de multiples reprises, les citoyens du quartier Vittoria-Statuto-Romito, une zone très peuplée, ont déjà manifesté leur inquiétude.