Sept.info | Téhéran, la capitale (1/4)

Téhéran, la capitale (1/4)

© Dara Zarbaf
Avec plus de 400 mètres, la tour Milad, qui fait partie du centre des congrès et du commerce international de Téhéran, est la plus haute d'Iran. En arrière-plan, le mont Damavand, un volcan endormi de la chaîne montagneuse d'Elbourz culminant à 5'610 mètres, domine la capitale. 

Je rêvais d'Iran depuis longtemps. Au travers de mes déambulations urbaines, j'ai découvert parmi l'agitation frénétique, le béton et le trafic, une ville poétique à la culture foisonnante.

Téhéran n’est souvent qu’une ville d’arrivée et de départ. Les fantasmes d’un art de vivre persan s’évanouissent devant l’entrelacs d’autoroutes qui sillonnent la capitale, son trafic bouchonné jusque tard dans la nuit, des piétons disparus sous la domination automobile. Capitale sans âme occupée par le va-et-vient incessant des voitures dans un ballet en surplace. Mes premières impatiences dans ce fourmillement fébrile. Mes premières perplexités aussi devant ce spectacle désordonné. Au XXe siècle sous le règne de Mohammad Reza Shah Pahlavi, la ville a vécu un chambardement urbanistique qui l’a quadrillée et modernisée à l’occidentale. «On a démoli pour faire moderne plusieurs coins charmants du Bazar, tracé au cordeau des avenues sans mystère, abattu les anciennes portes», comme l’a vu Nicolas Bouvier en 1954. Mais un certain habillage urbain extérieur ne suffit pas à transformer l’esprit d’un pays. Modernité contre tradition, ouverture contre nationalisme, religion contre laïcité, rigueur chiite contre individualisme occidentalisé s’expriment ici le plus manifestement. Des contradictions complexes qui animent tout le pays et que le regard occidental se plaît à dénoncer. Le développement de la voiture est spectaculaire. Le parc automobile iranien, concentré pour moitié dans la capitale, l’enfume et la congestionne. Si loin de cette ville que parcourait la Fiat topolino de Nicolas Bouvier il y a plus d’un demi-siècle! Un code de la route qui semble inexistant autorise le passage des véhicules par force ou par ruse dans des rues occupées pare-chocs contre pare-chocs. Aucun droit pour le piéton qui se glisse à haut risque entre les véhicules. Etrange contre-courant dans ce pays d’ordre et de politesse. La circulation jouerait-elle un rôle d’échappatoire à la règle dans une société très contrôlée? Dans le bazar et ses alentours, une même densité de trafic mais celui de la foule piétonnière à pas d’homme.

Quant à l’hôtel situé au nord de la capitale, il appartient à un Iran mondialisé. Dans cette gigantesque boîte à conférenciers et hommes d’affaires au décor américanisé passe-partout, je me sens comme dans n’importe quel pays. Seul le petit-déjeuner aux saveurs très orientales ainsi que le coran déposé dans ma table de nuit me réorientent. A ses portes des taxis en attente assurent nos déplacements. Parcours de patience dans les files «encolonnées» où nous restons protégés de la pollution et de la chaleur ambiantes. Quelque soixante minutes pour chaque mouvement, de quoi douter de ce modèle de mobilité! Paradoxe et ironie de la terminologie même d’«automobile» créée il y a plus d’un siècle et piégée dans l’immobilisme des bouchons! Ces blocages laissent du temps à la réflexion. Je me souviens de l’automobile, emblème du capitalisme triomphant que les Américains vantaient et vendaient comme symbole de la liberté des individus filant sur les grandes routes pour défier les contraintes de vie des citoyens soviétiques. En Iran continue l’ambiguïté de l’américanisation depuis le coup d’Etat orchestré par la CIA en 1953 contre Mossadegh et les réactions iraniennes liées à la prise d’otages à l’ambassade des Etats-Unis en 1979. Les grandes déclarations polémiques de «Grand Satan» contre «Axe du Mal» s’échangent entre gouvernants, mais l’Iranien moyen se laisse séduire par des objets de consommation de standard américain sans arrière-pensée idéologique. Rhétorique religieuse mais comportements matérialistes. Le modèle de mobilité iranien s’explique par des transports publics lacunaires, une essence largement subventionnée et une classe moyenne urbaine souvent dotée de deux voitures par ménage. Il en résulte chaque hiver des pics de pollution entraînant la fermeture des écoles. Une situation non durable dans un XXIe siècle secoué par le changement climatique. Comme pour toute nouvelle exploration urbaine, le bus m’attire où je côtoierais des citoyens anonymes dans leur quotidien. Mais j’y renonce dans l’impossibilité de lire un itinéraire en farsi. Je n’identifie que la règle d’occupation: les femmes à l’arrière et les hommes à l’avant. Dans cette agitation frénétique qui parcourt Téhéran, dans ces surfaces continues de béton et de briques qui recouvrent la ville, comment découvrir des jardins, ces féeries iraniennes?

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