Népal. Novembre 2018. Avec mes trois compagnons et nos deux guides sherpas, nous venons de nous poser sur l’un des aéroports les plus dangereux du monde. Nous sommes à Lukla – 2’800 mètres d’altitude – la porte d’entrée du Khumbu, la région de l’Everest. C’est le point de départ des expéditions et des treks souhaitant rallier le camp de base du plus haut sommet de la planète ou le sommet lui-même, foulé pour la première fois en 1953 par Edmund Hillary et Tensing Norgay. Sur la piste d’atterrissage, c’est un ballet incessant. Les avions dont les moteurs tournent en permanence n’ont droit qu’à quelques minutes pour permettre aux clients de débarquer et de récupérer leurs bagages. Accompagnés de quatre porteurs locaux, nous avons hâte de quitter cet endroit le plus vite possible. M’étant rendu plusieurs fois au Népal depuis les années 1970, j’ai du mal à accepter que ce pays extraordinaire se retrouve aujourd’hui totalement victime de son succès. Trop d’expéditions, trop de treks: en un mot, trop de monde. On pense inévitablement à Chamonix… Et pourtant nous sommes bien là, tant le besoin est grand de se glisser une fois encore au cœur de l’une des régions les plus spectaculaires et les plus photogéniques de la planète.
Par chance, notre objectif, le Mera Peak (6’470 mètres) ne semble pas cette année-là avoir attiré autant de monde que les années précédentes. Il faut dire que la saison touche presque à sa fin et que le froid commence à se faire sentir. La marche d’approche se déroule dans d’excellentes conditions, le long de la Hinkhu Kola. La région est d’une exceptionnelle beauté. Les jeux de lumière sont constants. Au camp de base de Khare, à 4’900 mètres, la situation se présente plutôt bien mais nous savons que la fenêtre météo qui devrait nous permettre d’atteindre le sommet sera de courte durée. Nous devons saisir notre chance et ne pas attendre un jour de plus, au risque d’être moins bien acclimatés. Mais notre guide, Passang, a confiance. Après une nuit un peu mouvementée au camp 2 (5’760 mètres), le summit push sera finalement une belle réussite. L’ascension du Mera Peak par son versant nord ne présente guère de difficultés techniques. Elle est très semblable à celle de la voie normale du Mont-Blanc, que j’ai gravi à plusieurs reprises. Mais l’altitude, le froid et le vent peuvent rapidement poser problème. Par chance, aucun d’entre nous ne souffrira du mal d’altitude ni des aléas de la météo, même si un vent très violent et une température «ressentie» très basse, proche des moins trente degrés, ne nous permettent pas de rester bien longtemps au sommet. Un petit regret tant la vue offerte depuis là-haut est exceptionnelle. Dans les objectifs de mon fidèle Nikon, c’est toute la dimension himalayenne qui nous apparaît, d’ouest en est, de l’Everest au Makalu… Deux jours après notre passage, l’ascension ne sera plus possible. D’importantes chutes de neige viennent de mettre soudainement un terme à la saison. Nos sherpas avaient raison. Il fallait faire vite. En redescendant au camp de base, passablement embrumé par les effets de l’altitude, je réalise à quel point cette nouvelle escapade himalayenne a été importante pour moi. Elle m’apparaît d’une étonnante densité symbolique, mais aussi comme un incroyable marqueur de vie. Alors, à l’occasion d’une longue pause sur le glacier situé en contrebas du Mera Peak, je décide de raconter mon histoire à mes compagnons de cordée et à nos amis sherpas: une histoire qui a cinquante ans.