Gay Talese porte sur notre époque agitée, sur le journalisme papillonnant comme sur la politique brouillonne de son pays, les Etats-Unis, un regard acerbe. A 84 ans, il est considéré comme le père du Nouveau Journalisme apparu au tournant des années 1950 et 1960; ce journalisme précis et exigeant, qui s’allie aux techniques de la fiction et du romanesque. Ce qu’il nomme l’art d’évoquer «le courant fictif qui coule sous le flux de la réalité».
Et la réalité narrée dans son dernier livre, Le Motel du Voyeur (Editions du sous-sol) fera l’objet à Hollywood d’une fiction produite par Steven Spielberg. La première phrase a suffi à convaincre le géant du cinéma américain: «Je connais un homme marié, père de deux enfants, qui a acheté, il y a bien longtemps, un motel de 21 chambres près de Denver dans le seul but d’en devenir le voyeur permanent.»
Gerald Foos, le personnage de cette histoire, a espionné ses clients depuis les années 1960 jusqu’en 1995. Depuis des caches aménagées dans les combles de son établissement, il a observé les ébats torrides ou tristes des amants de passage, des couples légitimes ou pas, avec l’ambition d’en produire une étude marquante sur la sexualité des Américains.
Il contactait Gay Talese en 1983 pour que presque 40 ans plus tard sorte un livre immédiatement controversé. Talese, pour ses détracteurs, se serait fait plus voyeur que journaliste.
Il m’a reçu en juin 2016 dans sa maison près de Central Park à New York. Smart et élégant comme Frank Sinatra, costume sur mesure dégrafé et chaussures italiennes sur sa table en marbre, la légende du long form journalism me raconte les mains derrière la tête pourquoi le journaliste se doit d’être un voyeur un peu schizophrène.