L’Ukraine: Guillaume Herbaut connaît par coeur ce pays aujourd’hui à feu et à sang. Depuis 2001, le photographe français suit l’évolution de l’ancienne République soviétique. Présent lors de la «révolution orange» en 2004, il a compris très vite les enjeux de ce nouveau conflit. Entre les menaces diplomatiques, le bras de fer autour du gaz et les affrontements quotidiens sur le terrain, le face-à-face entre Moscou et Kiev s’est installé dans la durée. Une guerre de l’information que Guillaume Herbaut a vu se radicaliser depuis novembre 2013 et la reprise des combats, les violences contre la population et surtout l’arrivée de mercenaires russes aux côtés des rebelles séparatistes pour combattre l’armée ukrainienne.
Vous avez passé plusieurs mois en Ukraine depuis le début de la révolution qui a renversé le président Viktor Ianoukovitch en février dernier. Pourquoi?
Je me suis toujours intéressé à la situation politique et sociale en Ukraine. En 2004, j’ai couvert la «révolution orange» à Kiev. Fin novembre, le pays s’embrase après la proclamation de la victoire aux élections présidentielles de Viktor Ianoukovitch, accusé de fraudes. C’est pendant ces manifestations que l’opposante Ioulia Tymochenko commence à se faire connaître. En novembre 2013, quand les premières manifestations ont commencé place Maïdan à Kiev, j’ai très vite compris que quelque chose d’important allait se dérouler là-bas. Il fallait que je sois sur place pour raconter. Depuis, j’ai passé presque les trois quarts de mon temps sur place. Quand le conflit s’est déplacé à l’est, j’ai suivi l’évolution politique pour raconter le référendum en Crimée et l’annexion russe, le conflit dans le Donbass, la région à la frontière russe. Pendant ces six mois, j’ai constaté l’évolution d’une révolution sociale et politique en véritable guerre. C’est extrêmement fort à voir.
Comment avez-vous constaté ce changement?
Très vite, au cours des premières manifestations de novembre. J’avais en tête le souvenir de l’ambiance de 2004 et je ne retrouvais plus l’espoir de l’époque. Les gens voulaient créer une société nouvelle, alors qu’aujourd’hui ils sont plus dans le rejet d’un système politique corrompu. Ils sont plus déterminés, plus durs en fait. Dès novembre 2013, les manifestants ont commencé à s’équiper de bâtons, à monter des barricades… On était davantage dans un esprit d’autodéfense que de construction. Au fur et à mesure des manifestations, on a vu l’Etat pousser la population dans la violence.
Une violence qui a touché également les journalistes locaux sur le terrain?
Pour les journalistes ukrainiens, la couverture du conflit est très dangereuse. La police en a arrêtés et brutalisés plusieurs. Jusqu’à février dernier, la situation était plus facile pour les journalistes étrangers comme moi. Mais quand les manifestants ont été attaqués par les forces de l’ordre, nous avons été victimes des mêmes violences.
Et la population?
Quand les premières manifestations ont commencé, sur la place Maïdan, on était très bien accueillis par la population donc c’était assez facile pour nous de travailler. Ils faisaient très attention à nous lors de chaque assaut des policiers. Aujourd’hui, le conflit s’est davantage radicalisé. On peut toujours circuler d’un camp à l’autre, travailler aux côtés des pro-russes puis avec les pro-ukrainiens. Le problème, c’est que cela peut vriller très vite. Du côté pro-russe, c’est assez organisé, il y a un service de presse qui accrédite les journalistes. A partir du moment où on a cette carte, on limite les problèmes, on est censés pouvoir passer tous les checkpoints des milices locales sans souci. Par contre, si on n’a pas ce document, on est soumis au bon vouloir de ces hommes.