Le général Henri Guisan est tendu ce matin du 6 juin 1944 au moment d’ouvrir cette séance convoquée d’urgence. Il est 11 heures précises, et les plus hauts officiers généraux sont présents dans l’une des salles de conférence du Palais fédéral, à Berne. Le grand patron de l’armée suisse ne veut plus attendre. Il faut préparer une nouvelle mobilisation partielle, leur explique-t-il.
La faute au débarquement de Normandie dont la nouvelle ne surprend guère l’Etat-major suisse. Elle était en effet attendue depuis plusieurs semaines.
Or Guisan craint la réaction allemande. Le 21, puis le 22 mai, la légation suisse à Budapest avait notamment fait part de rumeurs au sujet de troupes que les nazis masseraient à proximité de la Confédération.
Pourquoi? Selon Roger Masson, chef du Service de renseignement et de sécurité de l’Etat-major général de l’armée, Berlin pourrait vouloir s’emparer des Alpes pour y ériger une sorte de forteresse au milieu de l’Europe, les tunnels helvétiques devenant essentiels pour les échanges entre les partenaires allemands et italiens de l’Axe.
Pire, poursuit Roger Masson, les fortunes cachées en Suisse durant la guerre la mettent en danger. Les Allemands la considèrent comme «un pays regorgeant d’or». En fait, le chef du renseignement semble ignorer que les principaux importateurs d’or en Suisse sont les Allemands, qui ont pu ainsi se procurer les devises utiles à leur effort de guerre.
D’autres arguments sont évoqués durant la séance dirigée par Guisan: les Allemands pourraient décider de détruire «un corps étranger rempli d’espions alliés» en envahissant leur petit voisin. Ou encore, ils n’auraient pas confiance dans «l’attitude de l’armée suisse si elle devait s’opposer à une agression alliée», Berlin craignant notamment que les anglo-américains ne transforment la Suisse en tête de pont, en particulier pour leurs forces aériennes.
Or, avant de lancer l’ordre de mobilisation, le Général Guisan doit recevoir l’aval du gouvernement. Au début de l’après-midi du 6 juin, le Vaudois de 69 ans rencontre le conseiller fédéral Karl Kobelt, chef du Département militaire. Il lui répète son message alarmiste.