Rose, bleu, vert, rouge, jaune. De loin, les milliers de maisons du quartier de Jalousie semblent tout droit sorties d’un tableau du célèbre peintre jacmélien Préfète Duffaut. Un trompe-l’oeil parfaitement assumé et orchestré par le gouvernement de René Préval (président de mai 2006 à mai 2011). Ce dernier aura dépensé quelque 6 millions de dollars dans cette opération de maquillage «Beauté contre pauvreté» exclusivement destinée à offrir une vue attrayante aux touristes des palaces de Pétion-Ville, la banlieue chic de Port-au-Prince. En effet, à peine plus bas, sur la route du Canapé Vert en direction du sud de la capitale, cette magie multicolore s’évanouit dans un capharnaüm de cahuttes de béton, de tôle et de parpaing inachevées qui se chevauchent pour mieux s’agripper aux pentes abruptes de Morne l’Hôpital.
Cette cosmétique de façade ne saurait cependant cacher la détresse et les risques imminents qui affectent les résidents de Jalousie. Des dizaines, des centaines de milliers d’Haïtiens, personne ne sait combien ils sont en réalité, s’agglutinent dans ce bidonville qui surplombe la commune bourgeoise. Eau, électricité, écoles, centres de santé, etc. Tout leur manque. Et pour couronner le tout, une faille court sous le Morne l’Hôpital, de Pétion-Ville à Carrefour à l’extrême sud-ouest de Port-au-Prince.
«Non seulement il y a une faille sismique qui passe au niveau de Jalousie, mais aussi un aléa et un mouvement de terrain très fort dans la zone», révélait en juillet 2014 l’ingénieur sismologue haïtien qui avait prédit le séisme du 12 janvier 2010, Claude Prépetit. «On devrait interdire toute sorte de construction à l’intérieur d’une bande de neutralisation de 100 mètres de part et d’autre des plus importantes failles. Mais malheureusement, ce sont des zones qui sont déjà construites.»
Sous le poids de l’exode rural et faute de cadre cadastral, des dizaines de quartiers comme Jalousie sont sortis de terre ces dix dernières années. Avec le séisme de janvier 2010, l’anarchie a gagné des zones jusque-là délaissées déformant la capitale en un chaos urbain à nul autre pareil dans la Caraïbe. «Si nous n’arrêtons pas ces constructions, nous risquons de voir Port-au-Prince se transformer en un vaste cimetière», prévient le géologue.